ANVERS / BELGIQUE
Le monde muséal flamand est secoué par la volonté de la ministre de la Culture de redistribuer et redéfinir le rôle et les missions de différentes institutions publiques, au détriment du Musée d’art contemporain d’Anvers.

Bruxelles, Anvers, Gand. Le Muhka a connu la semaine la plus noire de ses quarante années d’existence. Ouvert en 1987 et agrandi en 1997, le Museum van Hedendaagse Kunsten Antwerpen, autrement dit le Musée d’art contemporain d’Anvers, se rêvait plus grand et plus beau. Musée de référence sur la scène contemporaine internationale, l’institution se sentait à l’étroit dans ses murs qui, dépourvus de fenêtres ou de baies vitrées, ne laissaient rien paraître de ses activités aux yeux des passants. Le projet d’un nouveau bâtiment, tout en transparence, évoqué pour la première fois en 2016, a pris une tournure plus concrète au début de cette année, après la décision du gouvernement flamand de financer à hauteur de 130 millions d’euros le projet sélectionné à l’issue d’un concours d’architecture lancé en 2023.
Mais après la fumée blanche, ce fut la douche froide. Le 3 octobre, la ministre flamande de la Culture, Caroline Gennez, a annoncé par communiqué que le financement du nouveau musée était annulé. Pour justifier sa décision, la ministre s’appuie sur la hausse imprévisible des coûts de construction et sur les conclusions plutôt défavorables d’une étude d’évaluation menée cet été. Il y était mis en exergue que la gestion et les activités du Muhka « manquaient de force » et que l’institution devait se réinventer. Il s’avère aussi que le montant ainsi libéré devrait pouvoir profiter à d’autres institutions culturelles anversoises comme le KMSKA (Musée royal des beaux-arts) et l’Opéra d’Anvers, mis en avant comme d’incontestables ambassadeurs culturels de la Flandre. Le Muhka pourra néanmoins disposer encore d’un certain montant pour de légères rénovations de l’actuel bâtiment, sur le fondement de propositions concrètes.
![Tags de protestation sur la façade du Mukha d'Anvers, [La collection qui est ici vient d'ici] tandis que sur la caisse au premier plan on peut lire [Vers Gand]. © Gilles Bechet](/sites/lejournaldesarts/files/styles/libre_w800/public/2025-10/tags-protestation-mukha-anvers-gand-copyright-photo-gilles-bechet-2025.jpg?h=dc8c1085&itok=Y-VF_FnF)
Comme les mauvaises nouvelles arrivent rarement seules, deux jours plus tard, la ministre convoquait une conférence de presse pour communiquer, à la surprise générale, un ambitieux plan de réorganisation des musées en Flandre, duquel le Muhka ressortait grand perdant. Dans un contexte d’assèchement budgétaire, la ministre veut réorganiser le rôle et les missions des musées soutenus par les pouvoirs publics sous prétexte d’accroître et d’améliorer la collaboration au sein du secteur. Dans le nouveau paysage muséal, les institutions seront regroupées en trois « clusters » auxquels seront liés d’autres musées. Le Musée des beaux-arts d’Anvers deviendra le centre de référence pour les beaux-arts, le Mu.ZEE d’Ostende, le noyau du pôle « art moderne et maîtres belges » (1850 à aujourd’hui), tandis que le S.M.A.K. à Gand accueillera le pôle de référence « art contemporain et actuel ». Quand au Muhka, il deviendra un centre d’art international, « un lieu d’échange où les artistes belges et internationaux de toutes disciplines sont invités à expérimenter », précisait la ministre.
Dans cette configuration, une grande partie des collections du musée anversois serait confiée au musée gantois pour lequel une opportunité pareille ne se refuse pas, d’autant que le S.M.A.K. prévoit à terme un agrandissement avec des salles dévolues à l’exposition de sa collection permanente.
À Anvers, les réactions ne se sont pas fait attendre. Herman De Bode, le président du conseil d’administration du Muhka, a remis sa démission, regrettant que son équipe n’ait jamais été impliquée dans la réflexion sur les plans proposés, assénant au passage qu’il ne travaillait pas avec « des imbéciles et des incompétents ». Inquiet pour son avenir, le personnel du musée, soutenu par le syndicat socialiste ACOD, a lancé une pétition pour s’opposer à la décision ministérielle, recueillant vingt-quatre heures après sa mise en ligne un millier de signatures et approchant désormais des 7 000.
Directeur du Muhka depuis 2002, Bert De Baere est abasourdi par cette décision brutale imposée d’en haut. Le sentiment qui domine est l’incompréhension. « C’est absurde, ce plan a été pris en petit comité sans tenir compte de l’expérience des équipes et de la réalité du terrain. Je crois aussi qu’il y a une méconnaissance de ce qu’est un musée d’art contemporain, qui ne fonctionne pas comme un musée d’art ancien ou d’art moderne », déplore-t-il. Il relève que le Muhka, dont la bibliothèque artistique comporte près 40 000 ouvrages, ce n’est pas uniquement des expositions. Il souligne également l’important travail de recherche et d’archivage que mène le musée et qu’il sera difficile de maintenir dans le contexte d’un centre d’art. « C’est d’autant plus regrettable [que] l’art contemporain est un des points forts de la Flandre, même si l’écosystème qui le structure n’a pas été suffisamment développé et ne le sera sans doute pas. » Dès les années 1960 en effet, la métropole portuaire a joué un rôle important dans la diffusion de l’art contemporain et le rayonnement international de ses artistes avec notamment l’ICC (Internationaal Cultureel Centrum) et la White Space Gallery.
Les craintes de l’équipe du Muhka portent évidemment sur la pérennité d’une collection riche de près de 8 000 pièces d’origines diverses, parfois acquises grâce à des donateurs qui doivent donner leur accord si l’œuvre change d’affectation. « On ne peut pas séparer une collection du contexte dans lequel elle a été constituée. Toute la valeur ajoutée en viendrait à disparaître. Avec un regroupement dans les conditions actuelles, une grande partie de la collection sera rendue invisible pour une longue durée. Et ceux qui ont le plus à perdre, ce sont les jeunes artistes », poursuit Bert De Baere.
Les modalités concrètes de ce chambardement et les missions attendues du « nouveau Muhka » restent encore floues. Des discussions et des ajustements seront plus que nécessaires. Avant que tout soit en place, une phase de transition est cependant prévue, entre le début de 2026 et 2028.
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Le Muhka victime de la réorganisation des musées en Flandre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°663 du 17 octobre 2025, avec le titre suivant : Le Muhka victime de la réorganisation des musées en Flandre









