Mémorial

New York

Le Mémorial de la polémique

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

Le nouveau « 9/11 Memorial Museum », érigé en mémoire du 11-Septembre, essuie plusieurs critiques.

NEW YORK - Le « 9/11 Memorial Museum »,  à la fois musée et mémorial édifié en hommage aux victimes des attentats du 11-Septembre à New York, n’a cessé de provoquer la controverse. Avant d’ouvrir ses portes au public le 21 mai, il avait été critiqué pour son tarif d’entrée, d’un montant de 24 dollars (17,60 euros), que certains jugent trop élevé (mais les familles des victimes et les secouristes bénéficient de l’entrée gratuite). Après son ouverture, cela va de mal en pis. Au cœur de la question est l’alliance épineuse d’un lieu de mémoire et d’un site touristique.

Inauguré par le président Obama le 15 mai, le musée est resté ouvert jusqu’au 21 uniquement pour les familles des victimes et les secouristes. Mais le 20 mai, il a fermé ses portes plus tôt que prévu, ce qui a empêché des secouristes de le visiter, à cause d’une soirée VIP à laquelle ont assisté l’ancien maire Michael Bloomberg, qui préside le conseil d’administration, et des représentants de l’éditeur de magazines Condé Nast, un mécène du musée. Un cocktail organisé dans le mémorial a choqué les New-yorkais, d’autant plus que des restes humains non identifiés sont inhumés au musée (une décision d’ailleurs à laquelle quelques familles de victimes se sont opposées). « A party on their graves » (« Une fête sur leurs tombes »), s’indignait le quotidien new-yorkais Daily News. De même, la boutique et un futur restaurant ouvert par Danny Meyer, un chef de cuisine très en vue, ont suscité des critiques, même si d’autres sites mémoriaux américains, tels que le cimetière national d’Arlington et Pearl Harbor, accueillent également une boutique.

Escarpins abîmés
Le mémorial est constitué de deux bassins créés d’après l’empreinte des tours jumelles et inaugurés en 2011, et le musée se trouve 21 mètres en dessous, sous terre. Le visiteur y accède par un bâtiment en verre créé par Snøhetta, alors que le musée est l’œuvre de l’agence d’architectes Davis Brody Bond de New York. L’architecture intègre des éléments importants du site de l’ancien World Trade Center. Les visiteurs descendent une rampe à côté de « l’escalier des survivants », un escalier par lequel plusieurs ont fui le jour des attentats. Un très volumineux mur de fondation en béton qui protégeait le World Trade Center du fleuve Hudson et qui a résisté aux attentats est visible dans la plus grande salle du musée.

Les coûts de construction s’élèvent à 700 millions de dollars (500 millions d’euros) financés par des fonds privés ainsi que publics. Pour les coûts de fonctionnement annuels, portés à 60 millions de dollars (42 millions d’euros) le musée « n’a pas de soutien du gouvernement fédéral, de la Ville ou de l’État. Nous dépendons entièrement des recettes gagnées et de la collecte de fonds privés. Mais nous espérons obtenir du financement public à l’avenir », explique Anthony Guido du département de la communication.

D’une surface de plus de 10 000 m2, le musée recense plus de 10 000 objets dans sa collection, parmi lesquels une énorme colonne d’acier déchirée et tordue qui, dans un autre contexte, pourrait être prise pour une œuvre d’art. On y voit également un camion d’incendie détruit lors de l’écroulement de la tour nord. Les événements du 11-Septembre sont relatés à l’aide de vidéos et d’enregistrements des voix des secouristes et des employés de l’intérieur des tours. Sont aussi exposés des articles personnels, tels qu’une paire d’escarpins abîmés ou un portefeuille avec son contenu éparpillé. Ces objets ordinaires sont censés rappeler les individus disparus ce jour-là, mais par leur aspect anonyme ils semblent plutôt témoigner de la volonté des organisateurs de commémorer jusqu’au moindre détail.

Accent mis sur l’émotion
Le parcours s’achève sur une vidéo qui a elle aussi suscité une controverse, « The rise of Al-Qaeda » (« La montée d’Al-Qaïda »). Ainsi, après avoir visionné le film, un imam du quartier a démissionné d’un groupe d’ecclésiastiques de diverses confessions qui ont conseillé le musée. L’ensemble du groupe a critiqué le film à cause de l’usage qui y est fait des termes « islamiste » et « jihad ». Dans un compte rendu élogieux du musée, Holland Cotter, critique d’art au New York Times, a lui-même décrit le film comme « simple, sans contexte et sans nuance ».

On ne peut s’étonner cependant que le 9/11 Memorial Museum n’examine pas en profondeur l’intégrisme musulman ou la politique étrangère des États-Unis. Sa force repose sur l’émotion qu’il provoque chez le visiteur en le faisant s’imaginer à l’intérieur du World Trade Center le 11 septembre 2001. Or, les New-Yorkais n’ont pas besoin de revivre ce jour-là, et ils sont nombreux à déclarer au New York Times qu’ils ne visiteront pas le musée. Pour les touristes, qui se rendaient déjà sur le site de Ground Zero avant le musée, c’est l’expérience new-yorkaise par excellence, et ils n’auront qu’à enfiler le tee-shirt du musée (22 dollars) pour s’en souvenir.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°415 du 6 juin 2014, avec le titre suivant : Le Mémorial de la polémique

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