Le jeu Pokémon Go indésirable dans l’enceinte des monuments et lieux de commémoration

Par Nathalie Eggs · lejournaldesarts.fr

Le 12 août 2016 - 861 mots

MONDE [12.08.16] – Un mois après son lancement, le jeu en réalité augmentée Pokémon Go est devenu un véritable phénomène de société. Si certains musées y voient l’opportunité de booster leurs chiffres de fréquentation, les lieux consacrés à la mémoire collective sont de plus en plus nombreux à interdire leur accès aux joueurs, à l’image de l’ossuaire de Douaumont.

Au début du mois d’août, Olivier Gérard, le directeur de l’ossuaire de Douaumont, monument à la mémoire des soldats de la bataille de Verdun de 1916 érigé dans la Meuse, « s’était interrogé sur la présence de nombreux visiteurs qui déambulaient sans quitter leur écran des yeux ». Ce comportement décrit par l’AFP, conséquence de l’engouement universel pour le jeu gratuit en réalité augmentée Pokémon Go, chacun a pu l’observer au moins une fois durant l’été. Depuis que des adeptes ont expliqué à Olivier Gérard que le lieu érigé à la mémoire des soldats tombés pendant la bataille de Verdun représentait dans le jeu une « arène » (permettant les combats entre Pokémons) et que la plaque commémorant la réconciliation franco-allemande affichait un Pokéstop (permettant aux joueurs d’acheter des Pokéballs, utilisés pour capturer des Pokémons sauvages), les chasseurs (ou dresseurs) de Pokémons ont déserté l’ossuaire de Douaumont : dès le 5 août, le directeur a en effet demandé la suppression de l’arène et du Pokéstop à Niantic, ancienne start-up de Google qui développe l’application.

A l’image de l’ossuaire de Douaumont, des dizaines de sites de commémoration à travers le monde ont interdit la présence de joueurs de Pokémon Go. Si le Mémorial de Verdun ne s’y est pas encore attelé, c’est tout simplement parce qu’il n’y a « pas de réseau, donc les joueurs ne peuvent pas l’utiliser », a expliqué à l’AFP Emeline Villeseche, en charge de la communication. Le musée de l’ancien camp d’Auschwitz-Birkenau a été l’un des premiers à solliciter, le 13 juillet dernier, la suppression de la géolocalisation du camp sur la carte de l’application. «Nous jugeons ce genre de pratique déplacée. C’est ici que des milliers de gens ont souffert, des Juifs, des Polonais, des Roms, des Russes et d’autres nations. Nous voulons sensibiliser d’une manière générale tous les producteurs de jeux au respect de la mémoire des victimes », avait déclaré un porte-parole du musée. Le Mémorial de la Shoah de Berlin, celui d’Hiroshima, celui du 11 septembre 2001 à New York, le Musée de l’Holocauste de Washington ou encore le Musée du génocide khmer au Cambodge lui ont ensuite emboîté le pas.

Véritable tsunami dans le monde de la réalité augmentée et du jeu vidéo, l’application Pokémon Go (disponible sur iOS et Android) a été téléchargée plus de 100 millions de fois dans le monde depuis son lancement le 5 juillet dernier (le 20 en France), au point de dépasser le nombre de téléchargements de Twitter, Snapchat, WhatsApp ou Tinder. L’action de Nintendo, qui possède 32 % du capital de la franchise Pokémon mais qui n’a pas participé au développement du jeu, a bondi de 93,2 % à la bourse de Tokyo dans la semaine suivant son lancement. Le modèle économique repose d’une part sur l’achat d’items permettant une progression accélérée dans les niveaux de jeu (environ 5 % des joueurs utilisent cette option payante) et, d’autre part, par les lieux sponsorisés qui paient pour avoir du trafic piétonnier.

La révolution du jeu, dont le but est de capturer des Pokémons (il en existe 721 espèces) à l’aide de Pokéballs pour les dresser au combat, est la « géolocalisation augmentée » : les Pokémons sont géolocalisés à partir d’un précieux algorithme, souvent dans des lieux historiques, culturels et naturels, obligeant les utilisateurs à se déplacer dans l’espace public, à parcourir des kilomètres et à interagir avec la communauté des dresseurs, ce qui a engendré des situations des plus incongrues et de nombreux faits divers. La répartition à travers le globe des célèbres figurines, nées il y a 20 ans au Japon, n’est cependant pas étrangère au background du fondateur de Niantic, John Hanke, qui a travaillé pour Google Maps et Street View.

Si de nombreux monuments aux morts et autres lieux de commémoration ont souhaité la disparition des arènes et des Pokéstops sur leur site en raison du manque de respect que montraient les joueurs, certains musées se sont emparés du phénomène pour attirer les visiteurs. D’après The Guardian, il y a huit Pokéstops autour de l’édifice du Philadelphia Museum of Art à Philadelphie, Pennsylvanie. Rappelant que le musée soutient les jeux innovants et créatifs, la directrice adjointe au marketing digital, Chessia Kelley, a alors organisé « une rencontre Pokémon » pendant les horaires « pay what you wish ». Les chiffres de fréquentation de l’institution pendant l’événement ont montré une progression de 13 % par rapport à la semaine précédente et de 25 % par rapport à la même époque un an auparavant. Du côté de New York, le MoMA compte deux Pokéstops, dont l’un à l’entrée, et il est de notoriété publique que les expositions « Rachel Harrison: Perth Amboy » et « Tony Oursler: Imponderable » regorgent de figurines. En France, les retombées du jeu dans les lieux culturels sont encore méconnues.

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Captures d'écran du jeu Pokémon Go © photo LeJournaldesArts.fr

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