Suisse - Musée

ENTRETIEN

Le MEG de Genève veut décoloniser ses collections

Carine Ayélé Durand : « Décoloniser, c’est prendre soin des collections du MEG »

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 23 juin 2022 - 693 mots

GENÈVE / SUISSE

Entretien avec Carine Ayélé Durand, la directrice par intérim et conservatrice en chef du Musée d’ethnographie de Genève.

Carine Ayélé Durand. © MEG / Johnathan Watts
Carine Ayélé Durand.
© MEG / Johnathan Watts
Le Musée d’ethnographie de Genève s’est donné pour objectif de « décoloniser le musée ». Quelle est aujourd’hui la résonance du mot « ethnographie » dans le nom du MEG ?

L’ethnographie est une étape dans une discipline plus vaste, l’anthropologie. Ce mot porte en lui le contexte historique et culturel dans lequel s’est développée cette science, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, et véhicule l’idée d’une vision partielle transformée en vision absolue. Depuis la fin des années 1990, beaucoup de musées ethnographiques deviennent des musées « des cultures du monde », et le nom du MEG est en effet un sujet de discussion en interne. En changeant de nom, peut-être risque-t-on d’oublier ce qu’on a été et de perdre un regard critique… Cependant, ce mot ne correspond pas à notre ambition de décoloniser les collections !

Comment « décoloniser » des collections d’origine coloniale ?

Nous travaillons le plus possible en collaboration avec les descendants des personnes qui ont fabriqué les objets de nos collections. Nous cherchons toujours à les relier avec les communautés sources, en accueillant des artistes, des artisans ou des chercheurs. Beaucoup de musées entreprennent la même démarche de dialogue. Par exemple, le projet « Initiative Bénin en Suisse », mené par le Musée Rietberg à Zurich, englobe en tout huit musées suisses autour d’œuvres très spécifiques provenant de la ville de Benin City (Nigeria), pillée en 1897 par l’armée britannique. Beaucoup d’objets ont alors été confisqués et se sont retrouvés dans des musées européens, ou sont réapparus, plus tard, sur le marché de l’art en Suisse. Aujourd’hui, une trentaine de pièces venant de ce pillage sont en cours d’étude, en collaboration avec des chercheurs nigérians, les communautés et l’État nigérian.

En quoi cette volonté de « décoloniser » transforme-t-elle le métier de conservateur d’une collection extra-européenne ?

Décoloniser les collections, c’est repenser la façon dont on parle des pièces et dont on prend soin d’elles. On ne se contente plus de les conserver. Pour cela, il importe d’abord de réinterroger la provenance de chaque objet, en parcourant sa biographie. On identifie ensuite les pièces sensibles, objets ou restes humains, pour contacter les musées des pays concernés et entamer un dialogue. Il peut y avoir une demande de restitution. En tant que musée, nous avons un organisme de tutelle, la Ville de Genève, elle-même organisée avec le Conseil administratif, qui seul peut décider d’une telle mesure. Nous pouvons cependant apporter des recommandations. Mais les demandes de restitution ne sont pas systématiques. Nous pouvons donc aussi définir avec nos partenaires comment prendre soin d’un objet dans nos réserves.

Ce dialogue induit-il des contraintes importantes pour exposer des œuvres ?

Bien sûr, il y a des contraintes quand on s’attache à respecter le principe du consentement libre et éclairé des peuples concernés pour l’exposition des objets comme pour les textes qui les accompagnent. Mais ce dialogue nous permet surtout de mieux connaître nos collections. Par exemple, nous présentons actuellement une exposition qui aborde la question de l’urgence climatique du point de vue des peuples autochtones. Nous voulions y montrer l’œuvre d’un artiste contemporain au côté d’un sac traditionnel de sa région d’origine qui l’avait inspiré et pour lequel nous avions fait une demande de prêt auprès du NONAM, musée dédié à l’Amérique du Nord, à Zurich. Quelques jours avant l’inauguration, nos collègues de Zurich nous ont signifié qu’ils avaient initié une recherche de provenance sur le sac traditionnel, qui s’était avéré sacré. À ce titre, il ne pouvait donc pas être exposé, et nous y avons renoncé. Cependant, cette démarche a enrichi nos connaissances et renforcé les relations de confiance entre la communauté d’origine et le musée de Zurich.

2024

C’est le terme que s’est donné le MEG pour remanier son exposition permanente afin de rendre compte du foisonnement de nouvelles perspectives sur ses collections d’origine coloniale.


Urgence climatique

C’est le thème de l’exposition temporaire, « Injustice environnementale, alternatives autochtones », présentée jusqu’au 21 août.

 

« Le mot “ethnographie” renvoie à une discipline du XIXe siècle. C’est une relique d’un passé colonial que nous ne souhaitons plus valoriser aujourd’hui. » Boris Wastiau, précédent directeur du MEG

Carine Ayélé Durand
est la directrice par intérim et conservatrice en chef du Musée d’ethnographie de Genève (MEG).

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°755 du 1 juin 2022, avec le titre suivant : Entretien : Carine Ayélé Durand : « Décoloniser, c’est prendre soin des collections du MEG »

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque