Mémorial

Shoah

Le devoir de mémoire

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 4 février 2005 - 851 mots

PARIS

Entièrement rénové et agrandi, le Mémorial de la Shoah à Paris se veut un lieu tourné vers l’avenir.

PARIS - Après trois ans de travaux, le Mémorial du martyr juif inconnu et le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ont rouvert leurs portes au public le 27 janvier 2005, date du soixantième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz et journée européenne de la mémoire de l’Holocauste. Inauguré en octobre 1956, le Mémorial du martyr juif inconnu fut installé à Paris, rue Geoffroy-l’Asnier, au cœur du Marais, ancien quartier populaire yiddish.

Très vite, le bâtiment abritant le tombeau symbolique des six millions de juifs morts sans sépulture dans les camps d’extermination et au ghetto de Varsovie s’est avéré trop étroit pour aborder toute l’histoire de la Shoah. Mais il a fallu attendre les années 1990 et l’intérêt des politiques pour qu’un projet concret voie enfin le jour. Peu après son arrivée à la direction de l’établissement, Jacques Fredj a lancé avec son équipe, en 1997, un vaste plan de rénovation et d’agrandissement des locaux. Au volume initial ont été ajoutés trois nouveaux bâtiments cédés par la ville de Paris, donnant rue du Pont-Louis-Philippe.

Les travaux, d’un montant total de 23 millions d’euros, ont permis de passer de 1 900 à 5 000 m2. « Nous voulions un bâtiment qui ne s’abrite pas derrière des œuvres, les espaces devaient se suffire à eux-mêmes, explique Jacques Fredj. La sobriété des matériaux [béton et bois] laisse la parole au lieu. » Le jour de l’inauguration, les visiteurs ont pu découvrir le Mur des noms, érigé à l’entrée du Mémorial. Réalisé en pierre de Jérusalem, le monument porte les nom, prénom, date de naissance et année de déportation des 76 000 hommes, femmes et enfants juifs déportés de France entre 1942 et 1944. Deux ans de recherches croisées entre les listes originales de la Gestapo, les fichiers du régime de Vichy, le Mémorial élaboré par Serge Klarsfeld (1) ou encore les archives des Musées de l’Holocauste de Washington et d’Auschwitz ont été nécessaires aux six documentalistes chargés de sa réalisation. Un espace resté vierge permettra de graver sur la pierre les noms de ceux qui doivent encore y figurer.

Le Mur permet de saisir la tragédie de l’Holocauste comme autant de vies brisées. « Pour réussir à comprendre cette histoire, il faut l’étudier dans son quotidien. L’idée est de raconter des destins individuels », précise Jacques Fredj. Cette notion d’individualité est le fil conducteur de la visite répartie sur sept niveaux, depuis l’exposition permanente située au sous-sol jusqu’au Centre de documentation et sa salle de lecture entièrement rénovés. Dans la crypte abritant l’étoile de David en marbre noir, qui perpétue le souvenir des disparus, ont été installés les fichiers juifs des Archives nationales, déposés en 1997 par le président Jacques Chirac.

Crime contre l’humanité
L’espace permanent, organisé de manière chronologique, réunit documents d’archives, photographies, cartes géopolitiques et objets. Créés spécialement pour l’occasion par des réalisateurs différents (tels Claude Lanzmann, Emmanuel Finkiel, Serge Moati ou Élisabeth Kapnist), sept films ponctuent le parcours. L’ensemble permet d’évoquer la montée du nazisme, les premiers camps, la déportation des juifs de France en 1942, puis Auschwitz-Birkenau, le pillage des juifs en Europe... Il s’achève sur les 3 000 photographies d’enfants juifs disparus recueillies avec l’aide de Serge Klarsfeld.

« L’idée première était de finir avec des réflexions intellectuelles autour de la Shoah, puis on est revenu à quelque chose de plus simple et d’universel : le sort des enfants. Cela permet d’ouvrir le sujet sur l’idée de crime contre l’humanité », estime Jacques Fredj. La première exposition temporaire est consacrée au Sonderkommando, cette équipe spéciale chargée du fonctionnement des chambres à gaz (lire l’encadré). Le Mémorial de la Shoah a aussi été doté d’une librairie, d’un auditorium, tandis que les archives ont été presque entièrement numérisées. Deux grands espaces, situés au deuxième étage, sont réservés aux ateliers pour enfants, aux journées de formation pour les enseignants, ou aux rencontres avec d’anciens déportés et résistants. « Le Mémorial a été pensé comme un lieu de vie, ouvert sur l’extérieur. Nous ne voulions pas donner l’image d’un lieu poussiéreux tourné vers le passé, souligne Jacques Fredj. C’est pourquoi nous avons mis sur pied un programme très important avec les scolaires. » Un travail de mémoire indispensable pour que les générations futures n’oublient jamais ces années sombres que la France a mis si longtemps à assumer.

Au cœur de l’enfer

Prisonniers juifs immatriculés au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, les membres du Sonderkommando furent chargés, entre 1943 et 1945, du fonctionnement des chambres à gaz et crématoires, avant d’être quasiment tous exécutés par les SS. Seule une dizaine d’entre eux survécurent. Parmi eux, l’artiste David Olère, qui, à son retour des camps, dessina les atrocités dont il fut témoin. Présentées avec les manuscrits de cinq membres du Sonderkommando, retrouvés sous la terre de Birkenau, ces esquisses sont exposées (jusqu’au 17 avril) pour l’inauguration du Mémorial de la Shoah. Les notes cachées par les membres du Sonderkommando font aussi l’objet d’une parution inédite (Des voix sous la cendre, éditions Calmann-Lévy, 2005, 454 p., 22 euros).

Notes

(1) Serge Klarsfeld, « Le Mémorial des enfants juifs de France », tome IV de La Shoah en France, Fayard, 2001, 4 674 p., 21 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°208 du 4 février 2005, avec le titre suivant : Le devoir de mémoire

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