Musée

L’art primitif aux guichets du Louvre

Le premier des grands projets chiraquiens

Par Adam Guillaume · Le Journal des Arts

Le 1 décembre 1995 - 801 mots

PARIS

Le candidat Jacques Chirac s’était plaint que les "arts primordiaux n’aient pas leur place" au Musée du Louvre. Élu Président de la République, cet amateur déclaré des arts non-occidentaux provoque une petite révolution de palais et répond au vœu depuis longtemps exprimé par le collectionneur Jacques Kerchache. Le ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy, vient d’annoncer qu’une commission étudiera "les modalités de présentation des arts dits "primitifs", qu’ils soient d’Afrique, d’Amérique ou d’Océanie", au Louvre. Une promesse électorale tenue ?

PARIS - "Nous n’arrivons toujours pas à créer, dans ce musée, une section qui corresponde à ces arts que les conservateurs, avec un peu de condescendance, appellent "les arts primitifs" – et que Malraux appelait "les arts primordiaux" – et qui n’ont pas leur place, en vérité. Les trois quarts de l’humanité sont absents du Louvre, je trouve que c’est profondément choquant et regrettable", déclarait Jacques Chirac en pleine campagne électorale, le 6 avril 1995, sur France 2.

Le candidat aux présidentielles reprenait ainsi avec force le credo de l’ancien marchand et collectionneur Jacques Kerchache, qui milite depuis des années pour que les arts d’Afrique, d’Océanie et des deux Amériques n’aient pas seulement leurs propres musées mais conquièrent leur place dans la vitrine des musées de France : le Louvre.

On connaît les liens qui unissent les deux "Jacques", relations qui se sont renforcées depuis que Kerchache a organisé en 1994, au Petit Palais – musée géré par la Ville de Paris –, une exposition sur "L’art des sculptures Taïno" qui connut un grand succès. Auteur d’une somme sur l’art africain (aux Éditions Mazenod), âgé de 53 ans, il est actuellement le commissaire de l’exposition "Picasso-Afrique. État d’esprit", présentée jusqu’au 8 janvier au Centre Georges Pompidou.

La collection Jacques Kerchache dans l’aile de Flore ?
Quitte à heurter certains conservateurs du Louvre, Philippe Douste-Blazy va mettre en œuvre la volonté présidentielle.  Le Metropolitan Museum – sans doute le musée le plus comparable au Louvre par l’importance de ses collections – ne possède-t-il pas un département d’Art africain, océanien et précolombien ? Certes, rétorquent les "traditionalistes", mais le musée new-yorkais vise à l’exhaustivité, contrairement au musée parisien qui ne présente ni art asiatique, ni instruments de musique, ni armes et armures, ni art moderne et contemporain…, et donc, la création d’un treizième département ne se justifie pas.

Le ministre de la Culture a annoncé, lors d’une conférence de presse le 14 novembre, qu’une réflexion allait "prochainement s’engager dans le cadre d’une commission qui étudiera les modalités de présentation, à l’intérieur du Musée du Louvre, d’arts qui n’y ont pas aujourd’hui leur place." À savoir, "les arts dits "primitifs", qu’ils soient d’Afrique, d’Amérique ou d’Océanie." En fait, des négociations seraient bien engagées pour acquérir une partie de la collection de Jacques Kerchache, et l’aile de Flore, côté Seine, serait envisagée pour accueillir les arts primordiaux. Cette aile va par ailleurs être profondément remaniée dans le cadre de la dernière tranche des travaux menés par l’Établissement public du Grand Louvre (ÉPGL).

Une nouvelle entrée sera même créée porte des Lions, sur les quais, à l’ouest du pavillon des États. Ce revirement de doctrine de la part de l’ÉPGL, qui souhaitait naguère centraliser l’accès du public sous la pyramide, est dû à l’engorgement dont elle est victime.

L’avenir des autres musées
Le projet présidentiel relance la question de l’avenir du Musée de l’Homme et du Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie (MAAO), institutions longtemps négligées par leurs tutelles respectives et qui bénéficiaient de faveurs récentes. La nomination, en juillet 1994, de Jean-Hubert Martin à la tête du MAAO avait été interprétée comme la volonté de dépoussiérer l’ancien musée colonial.

La Direction des Musées de France caresserait le projet de rationaliser la présentation des collections des deux musées pour créer un "Grand musée des arts primitifs", en réhabilitant le musée de la Porte Dorée, qui serait ainsi plus à même d’accueillir tout ou partie de la collection d’art nigérian du Musée Barbier-Mueller (lire notre dernier numéro).

Reste au préalable à résoudre le statut du Musée de l’Homme, qui dépend des ministères de l’Éducation nationale et de la Recherche. Mais le fait que la question ait été abordée de front par le ministre de la Culture, le 14 novembre, – "La réflexion de la commission devra nécessairement inclure la question de la vocation, qu’il faut repréciser dans ce contexte, du Musée de l’Homme et du Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie" – pourrait augurer d’un éventuel rapprochement.

Reste également la question des crédits disponibles, puisque le ministère de la Culture va investir largement dans la rénovation du Musée Guimet, promis à être transformé en "Grand musée des arts asiatiques". Mais pourquoi ceux-ci n’auraient-ils pas droit aux mêmes égards ? Le Président de la République possède un cheval Tang : à quand un "quatorzième département" ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°20 du 1 décembre 1995, avec le titre suivant : L’art primitif aux guichets du Louvre

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