Grands travaux

L’aéroport fantôme de Berlin

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · Le Journal des Arts

Le 30 septembre 2014 - 744 mots

Les Berlinois désespèrent d’inaugurer leur nouvel aéroport avant 2017 dont la capacité d’accueil vient, dans un dernier rebondissement, de se révéler insuffisante.

BERLIN - Trente-six visiteurs admirent l’immense tapis volant d’une surface de 999 mètres carrés, œuvre conçue par l’artiste américaine Pae White. La structure rouge comprend 12 km de délicats fils en aluminium entrelacés. Des VIP de la Berlin Art Week visitant une collection privée ? Loin s’en faut. Simplement trente-six curieux participant à une visite guidée de l’aéroport fantôme de Berlin, qui contemplent une des six œuvres d’art commandées par la Flughafengesellschaft Berlin Brandenburg, société qui gère les aéroports berlinois. La visite ressemble à celle d’un appartement témoin : l’odeur du neuf est prégnante, il est interdit de s’écarter des planches en bois pour ne pas souiller le sol en marbre. Les housses en plastique qui recouvrent sièges et rambardes, évoquent quant à elles plutôt une maison hantée.

L’inauguration du grand aéroport de Berlin, maintes fois repoussée, devait enfin avoir lieu le 3 juin 2012, en présence de la chancelière Angela Merkel. Tout était prêt ou presque : des milliers de billets d’avion avaient été émis avec le nouveau code AITA de l’aéroport BER, le personnel des différentes entreprises et magasins de l’aéroport était engagé. Ce jour-là, le trafic aérien devait entièrement basculer des deux petits aéroports des anciens Berlin-Ouest et Est, respectivement Tegel et Schönefeld, vers l’aéroport Willy Brandt, flambant neuf. Le hic ? Le système de protection anti-incendie, et notamment le dispositif d’évacuation des fumées, censé les évacuer par le sous-sol, défiant ainsi toutes les lois de la physique. Six mois avant l’inauguration, les tests révèlent que le système ne fonctionne pas. Qu’à cela ne tienne, les responsables élaborent une solution « homme-machine » prévoyant l’embauche temporaire de 700 employés chargés de fermer manuellement les clapets et portes coupe-feu défaillants en cas d’incendie. Craignant que cette solution ne masqua un gros problème de sécurité, les autorités compétentes refusent de donner l’agrément à l’aéroport. Trois semaines seulement avant l’inauguration, le projet est complètement stoppé.

La « méthode Hartmut Mehdorn »
Appelé à la rescousse en mars 2013, Hartmut Mehdorn, qui était parvenu à inaugurer la gare centrale de Berlin à temps pour la Coupe du monde de 2006, a pris la tête de la Flughafengesellschaft, et initié le programme SPRINT, afin de maîtriser les délais et les coûts, qui ont dérapé de 2,2 à 5,4 milliards d’euros selon les dernières prévisions. Mais sa devise « rapide et bon marché » vaut à la gare d’importantes rénovations, moins de dix ans après son ouverture, ce qui ne laisse rien présager de bon pour l’aéroport berlinois. Hartmut Mehdorn doit en outre gérer les quelque 60 000 malfaçons et erreurs de planifications du chantier, laissées par son prédécesseur : portes montées à l’envers, escalators trop courts, tapis bagages insuffisants, espace check-in trop petit, 1 000 arbres plantés au mauvais endroit… Mais celles-ci font presque figure dérisoire devant les dysfonctionnements du dispositif anti-incendie, rebaptisé « Le Monstre », qui n’est toujours pas opérationnel. Il n’est pas certain que l’aéroport puisse ouvrir avant 2017. Dernière mauvaise nouvelle en date, qui aurait pourtant pu être anticipée depuis des années, l’aéroport a été conçu trop petit et sera en surcapacité dès son inauguration. Selon des projections, Berlin accueillera dès cette année 27 millions de passagers, ce qui correspond à la capacité maximale du nouvel aéroport, et 31 millions en 2016. Désastre, débâcle, fiasco : la presse allemande se délecte des déboires du grand aéroport de Berlin. L’ouverture sans cesse repoussée, sujet de plaisanterie récurrent, est devenue dans le langage populaire synonyme d’attendre Godot. Elle a coûté son poste au maire de Berlin, Klaus Wowereit, qui a démissionné en août dernier. Le cas de l’aéroport de Berlin n’est pourtant pas isolé. D’autres grands travaux en Allemagne, par exemple la gare souterraine Stuttgart 21, connaissent en effet un sort aussi peu enviable que celui-ci. Le nouveau bâtiment de la philharmonie de l’Elbe à Hambourg sera inauguré avec sept ans de retard, avec un budget prévisionnel pratiquement multiplié par dix (750 au lieu de 77 millions d’euros). « Les citoyens doutent de plus en plus de la capacité des politiques, des administrations, mais aussi de l’industrie privée à mener à bien des grands projets », précise la lettre de mission d’une Commission de réforme de construction des grands projets mise en place en 2013. Cette commission présentera en 2015 des propositions pour maîtriser les coûts et délais des grands travaux en Allemagne.

Légende photo

L'Aéroport de Berlin-Brandebourg. © FBB.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : L’aéroport fantôme de Berlin

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