Kentucky

La « french touch » du Speed Art Museum

Le parcours atypique du « frenchy » Ghislain d’Humières, à la tête du Speed Art Museum à Louisville aux États-Unis

Par Carole Blumenfeld · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2017 - 1315 mots

Ghislain d’Humières est un éternel missionnaire. À la tête du musée de Louisville, ce spécialiste du XVIIIe et de la joaillerie se lance le défi de réinventer le rôle du musée aux États-Unis.

PARIS - Le parcours de Ghislain d’Humières est pour le moins atypique. Après une carrière dans les maisons de ventes internationales, où il a d’abord travaillé dans le domaine des arts décoratifs du XVIIIe siècle, puis celui des bijoux à Paris, Londres, New York, Los Angeles, puis Genève, il a décidé soudain de tout quitter pour se consacrer aux enfants des rues du Guatemala. Il a d’ailleurs créé la fondation Alix Donation Fund (ADF) pour eux. Revirement net à son retour, puisqu’il fut nommé par le Fine Arts Museum of San Francisco, Assistant Director en charge de la réouverture du Young Museum. En 2007, il prit la tête du Fred Jones Jr. Museum of Art de l’University of Oklahoma et en 2013 celle du Speed Art Museum à Louisville.

Deux jours avant Noël, nous avions rendez-vous avec lui place Colette, devant la Comédie française. Nous le trouvons attablé à la terrasse du Nemours. À Paris pour les fêtes de fin d’année, il en profite pour découvrir les expositions en cours, avant de rejoindre son père dans le centre de la France. Pour autant, Ghislain d’Humières n’est pas un nostalgique. Il évoque les « Mini-Met » au centre des États-Unis, ces musées encyclopédiques bâtis au début du XXe siècle grâce à la philanthropie de quelques riches personnalités locales, qui « voulaient rendre hommage à la ville dont ils étaient originaires ». « C’est un pays qui m’emballe, je suis fasciné par ce rêve de faire des États-Unis un paradis pour les humains et par cette volonté de faire des choses. »

Un « hub » de créativité

« Le Speed Art Museum fête ses 90 ans en janvier et n’a jamais utilisé un sou d’argent public. Ses collections présentent un panorama de l’histoire de l’art à partir de l’art grec, avec de l’art africain, de l’art Native American, de très beaux fonds de peinture flamande et hollandaise et d’arts décoratifs européen, mais avec des points faibles bien sûr comme l’art asiatique, l’art judaïque et l’art islamique, puisqu’aucun amateur local n’en était mordu. »

L’adjonction récente d’un bâtiment contemporain par l’architecte thaïlandais Kulapat Yantrasast a permis de redonner une unité au tout, entre la construction ancienne et les ajouts des années 1960. Aujourd’hui, pour autant, son directeur ne se satisfait pas du mot « musée » : « C’est très bien mais cela appartient au XIXe siècle. Nous avons désormais besoin d’autre chose. Je préfère parler de hub of creativity, un lieu pour célébrer la créativité à travers un dialogue entre les générations, au moment où celui-ci est en panne. Nous avons l’opportunité de nous réinventer pour faire évoluer les mentalités et de permettre à la jeune génération d’être un peu plus tolérante. Mon job est par exemple de montrer que l’art islamique n’est pas synonyme de terrorisme. » Il se justifie en présentant la situation de Louisville, où 35 % des 1 200 000 d’habitants de l’aire urbaine ne quitteront jamais le territoire, et la nécessité « de les faire voyager grâce aux collections ». Son public – le musée a rouvert il y a un peu plus de six mois après la campagne de travaux – est constitué de 80 % de locaux, dont la moitié des 40 000 étudiants des alentours. « Il est essentiel pour nous de travailler avec les écoles, d’autant plus que nous sommes le seul musée du Kentucky, un état majoritairement républicain, nous avons donc un rôle fondamental. »

Le directeur sonde continuellement ses visiteurs. « Il est possible – nos trustees [administrateurs] nous soutiennent beaucoup d’ailleurs – d’ajuster nos programmes en seulement deux ou trois mois. Nous sommes fiers par exemple du succès de la gratuité le dimanche, ce qui permet une grande diversité et l’atmosphère plus dynamique donne même envie de venir aux personnes qui pourraient s’acquitter du billet le reste de la semaine. » Sa grande préoccupation reste ce qu’il appelle « la génération des milléniums » : « ils viennent au musée pour faire des choses entre amis, mais non pour apprendre. Nous devons changer l’image du musée. » Il voudrait d’ailleurs comprendre pourquoi la récente exposition consacrée à l’histoire des chaussures de sport, « Out of the Box : The Rise of Sneaker Culture » n’a pas connu le même succès qu’à Brooklyn ou Atlanta : « Nous sommes en train d’étudier les résultats pour mieux comprendre les attentes de notre public ». Le mot « diversité » revient sans cesse dans son discours et le New York Times s’était d’ailleurs étonné, en mars dernier, de voir comment le Speed Art Museum était parvenu à faire évoluer la composition de son board of trustees (le conseil d’administration) pour permettre à toutes les minorités d’être représentées. Un fond spécial a ainsi été créé, une première, pour permettre aux membres qui n’en auraient pas les moyens de s’acquitter de leur contribution annuelle de 5 000 dollars pour les trustees.

Être français, un atout
Ghislain d’Humières est curieux des autres. Étonné que nous connaissions un peu le Kentucky et les états voisins, il renverse le principe de la rencontre et ne cesse de nous poser des questions sur notre perception de ces musées du centre des États-Unis. La conversation se poursuit autour de la diplomatie d’influence exercée par les puissances catholiques au début du XIXe siècle, qui envoyèrent des tableaux baroques et modernes pour décorer les églises nouvellement fondées, une générosité pas tout à fait désintéressée. Louisville se trouve à une quarantaine de kilomètres de la basilique Saint Joseph de Bardstown, « une église au milieu de rien avec des tableaux exceptionnels de Van Dyck, Murillo et Mattia Preti, offerts par Léon XII, Louis-Philippe et François Ier des Deux-Siciles ». En découvrant que le cardinal Fesch fit de même en Ohio, en Alabama, en Iowa ou en Indiana, le directeur du Speed Art Museum se passionne pour le sujet.

Le fait d’être français est certainement un atout pour Ghislain d’Humières. Louisville, fondé un an après l’avènement de Louis XVI en son honneur, est la seule ville au monde où il reste le personnage historique favori. « Il y a clairement une fascination pour la France. Le séjour du duc d’Orléans, futur Louis-Philippe, et ses deux frères à Louisville est un moment fort de notre histoire locale. Le nom des Bourbons et les fleurs de lys sont présents de partout ! La statue de Louis XVI, offerte par la ville de Montpellier, trône d’ailleurs devant l’hôtel de ville. »

Pour autant, Ghislain d’Humières ne restera pas au Speed Art Museum jusqu’à la fin de sa carrière, bien qu’il se défende de songer à le quitter maintenant : « Il n’y a pas le feu au lac ! » Avec entrain, il évoque les programmes qu’il met en place, mais aussi les side specific commissions (les commandes aux artistes contemporains), et la collection promise par l’un des bienfaiteurs du musée. « Je n’ai pas envie de quelque chose de confortable, j’ai besoin de challenges et d’être utile », confie-t-il. Un projet de construction pourrait le tenter, mais pas avant deux ou trois ans. « De toute façon, c’est un système unique au monde où il n’est pas possible de demander, mais seulement d’être invité à candidater », dit-il, jugeant utile de préciser encore une fois qu’il ne souhaite pas quitter le Speed Art Museum.

En attendant, les musées français –  en dehors bien sûr du Musée du Louvre et du château de Versailles qui excellent en la matière – pourraient peut-être profiter de son carnet d’adresses pour trouver de nouveaux mécènes dans le centre des États-Unis. Ce n’est peut-être pas un hasard si Jean d’Haussonville, directeur général du domaine national de Chambord, est à l’origine de la rencontre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : La « french touch » du Speed Art Museum

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