Église

RÉTROVISION

Il y a un siècle, l’incendie de Notre-Dame de Reims

Par Isabelle Manca · Le Journal des Arts

Le 23 mai 2019 - 799 mots

REIMS

Touchée par un obus en 1914, la cathédrale dévastée des sacres des rois de France soulève la question, comme Notre-Dame de Paris dévorée par les flammes le 15 avril dernier, de sa reconstruction.

Plus de cent ans après les faits, les mots d’Albert Londres résonnent d’une triste actualité. En septembre 1914, le grand reporter dépêché à Reims relate dans Le Matin une situation qui nous est hélas familière. « Il y a bien encore les voûtes, les piliers, la carcasse, mais les voûtes n’ont plus de toiture et laissent passer le jour par de nombreux petits trous. » Et de conclure, « la cathédrale de Reims n’est plus qu’une plaie». Un siècle avant Notre-Dame de Paris, l’autre cathédrale phare de l’histoire de France avait en effet failli disparaître lors d’un incendie ravageur. Un sinistre qui a, lui aussi, bouleversé l’opinion par-delà les frontières. Alors que la guerre fait rage, la cité des sacres des rois de France essuie des tirs nourris. Le 19 septembre un obus achève sa course dans l’échafaudage en bois qui enserre la tour nord de l’édifice. Le feu embrase toute la toiture faisant fondre les tonnes de plomb qui la recouvrent. Ce métal en fusion se répand inexorablement sur les voûtes et coule par les gueules des gargouilles suscitant des images apocalyptiques. La charpente, elle, se consume jusqu’au soir et est réduite en cendres, tout comme le clocher de l’Ange. La structure générale du bâtiment, en revanche, tient bon malgré quelques écroulements.

Mais contrairement à ce qui s’est passé à Paris, l’intérieur du monument est rudement endommagé. La propagation des flammes étant facilitée par la transformation du site en hôpital de campagne, décidée quelques jours plus tôt. Afin d’assurer le couchage de soldats blessés, des monceaux de bottes de paille ont été placés dans la nef et les collatéraux et les chaises ont été empilées dans le chœur… Autant de provisions pour le brasier. Inévitablement, les pierres se dégradent, des sculptures se brisent et une partie du mobilier est anéanti. À l’exception des objets liturgiques et du Trésor que les membres du clergé ont pu évacuer.

Un retentissement international

Ce terrible événement, auquel assiste une foule médusée, rencontre un retentissement extraordinaire. L’information est abondamment relayée par la presse internationale, créant une onde de choc inédite. Pour la première fois dans l’histoire occidentale, un monument accède au statut de « martyr de guerre » ». Jusqu’à l’armistice, et même après, quantité de journaux publient des clichés ou des illustrations faisant de la cathédrale mutilée la preuve de la barbarie et du vandalisme présumés des Allemands. Les ennemis se verront longtemps reprocher le « crime de Reims » et l’édifice se mue en symbole de tous les monuments détruits pendant le conflit. Cette médiatisation sans précédent place la cathédrale au cœur des débats dans l’immédiat après-guerre. Si l’État annonce très vite sa volonté de reconstruire l’édifice, certains vétérans s’y opposent. Ces anciens combattants préféreraient que le monument reste en l’état et devienne une nécropole à la mémoire des soldats tombés au champ d’honneur.

Finalement, cette option conservatoire ne sera retenue que dans une portion du bâtiment. La façade nord, où s’est déclenché l’incendie, est ainsi conservée en l’état comme témoignage historique. Pour le reste de l’édifice le choix de la reconstruction s’impose rapidement, choix qui sera d’ailleurs privilégié dans la majorité des sites patrimoniaux dévastés par la Grande Guerre afin d’amoindrir le traumatisme, en restituant des édifices historiques marquants. La doctrine des monuments historiques ­préconise alors une reconstruction à l’identique sans imposer exclusivement les matériaux utilisés à l’origine. C’est avant tout l’aspect qu’il est important de retrouver et pour les parties non visibles on n’hésite pas à utiliser des matériaux plus faciles à mettre en œuvre ou plus économiques.

C’est ce pragmatisme qui explique le choix avant-gardiste de l’architecte en charge de la restauration, Henri Deneux, qui propose une charpente en béton. Un matériau guère orthodoxe à l’époque dans l’architecture sacrée, mais qui offre plusieurs avantages, dont celui d’être ininflammable. Cette structure, sorte d’immense Meccano de poutrelles préfabriquées, est également plus légère qu’une charpente traditionnelle et permet donc d’alléger le poids pesant sur des structures fragilisées. Sans compter que le bois est rare à l’époque, car les forêts de l’Est de la France ont été dévastées par le conflit. Enfin cette solution possède un autre avantage, et pas des moindres, elle est plus économique en main-d’œuvre et en capitaux. Un argument qui fait largement pencher la balance en sa faveur, même si le chantier de Reims a bénéficié, comme celui de sa cousine de Paris un siècle plus tard, d’un élan de générosité international. Plusieurs mécènes ont en effet accouru au chevet de la basilique. Son principal bienfaiteur était ainsi un Américain, l’homme d’affaires John Davison Rockefeller, dont le don a permis de construire cette fameuse charpente, charpente dont s’inspirera peut-être demain Notre-Dame de Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°524 du 24 mai 2019, avec le titre suivant : Il y a un siècle, l’incendie de Notre-Dame de Reims

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