Musée

L’actualité vue par

Bruno Maquart, directeur de France-Muséums

« Les musées qui veulent travailler avec nous »

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2008 - 1964 mots

Directeur général du Centre Pompidou de 2001 à juillet 2007, date à laquelle il est nommé à la tête de France-Muséums – l’agence chargée de mettre en œuvre le futur Louvre-Abou Dhabi –, Bruno Maquart revient sur les clauses du contrat signé le 7 janvier avec l’émirat et sur les tenants et aboutissants du projet.

Quel est le contenu exact du contrat qui vient d’être signé le 7 janvier à Abou Dhabi en présence de la ministre française de la Culture, Christine Albanel, par France-Muséums, que vous dirigez ?
Ce contrat, passé entre l’agence France-Muséums et notre partenaire émirati, TDIC (Tourism Development & Investment Company), une société détenue par le gouvernement émirati, vient préciser et détailler les engagements que la France a pris en mars 2007 avec les émirats. C’est un contrat de prestation de services comme on pourrait en passer avec une société de conseil et qui vient poser les règles du travail en commun pour les vingt prochaines années. Il détaille point par point les engagements de la partie française. Au total, il comprend trois cent vingt-sept livrables, un livrable étant une prestation que l’on remet, souvent sous la forme d’un document écrit. Nous avons fourni en 2007 onze livrables, dont le principal est l’avant-projet scientifique et culturel qui a été remis aux autorités émiraties à la fin de l’année dernière. C’est un contrat aride, une pièce technique avec des clauses d’assurance, de résolution de différends, de délais. Un contrat comme en signent tous les jours des personnes qui veulent une expertise et d’autres qui la fournissent.

Peut-on en savoir plus sur le projet scientifique et culturel de ce musée censé ouvrir en 2013, et sur sa muséographie ? Lors des prémices du projet, n’était-il pas question de mettre en exergue les arts décoratifs et le goût français ?
Nous venons de rendre nos premières propositions aux Émiratis et je peux seulement communiquer sur les grandes lignes tant que nous ne nous sommes pas précisément mis d’accord. C’est un musée émirati. Ce qui sera fait à Abou Dhabi ne serait pas fait de la même façon à Singapour ou au Caire. Le musée prendra en compte sa situation géographique. Même si c’est un lieu commun de dire que le Golfe a toujours été un carrefour, ce qui était vrai hier reste vrai aujourd’hui. C’est une zone du monde dans laquelle des marchands ont maîtrisé la circulation maritime bien avant nous et ont fait en sorte que l’Est et l’Ouest commercent. Ce rôle de lien sera mis en exergue, dans une approche la plus comparative possible. Le musée fera une large place aux arts décoratifs parce qu’ils détiennent une place importante dans l’Islam et dans la région. Nous avons le souci, avec Laurence des Cars [ancienne conservatrice du Musée d’Orsay] et son équipe, de contextualiser les œuvres, de donner les clés indispensables à leur compréhension. Au-delà, nous souhaitons dès le départ intégrer la dimension des publics dans ce qu’elle a de plus fondamental. Pour ce, une étude des publics sera lancée dans les semaines qui viennent. Nous construisons un musée dans un endroit où il n’y en a pas. Nous n’avons donc pas d’information sur les attentes des visiteurs locaux et des touristes. C’est un projet à deux niveaux qui mêle un fil historique et un fil plus formel. Il ne s’agira en aucun cas ni d’un best of des musées français, ni de tomber dans le spectaculaire. Nous voulons vraiment, à partir d’un projet scientifique validé, offrir des parcours dans l’histoire de l’art de l’Occident et de l’Orient. Proche de la Chine et de l’Inde, la zone est tournée vers l’Iran, et située à mi-chemin entre Beyrouth et Bombay, au cœur d’une région très riche. C’est ce que nous voulons montrer à Abou Dhabi. La France s’est engagée à prêter des œuvres pendant dix ans. Nous allons proposer un accrochage annuel, ce qui permettra une rotation des collections. Parallèlement, la collection du musée va se constituer. Elle aura sa place dans les salles, pour dialoguer avec les collections françaises, dans un parcours que nous voulons très ambitieux intellectuellement mais aussi adapté à des niveaux de lecture différents. Nous sommes dans une région où le rapport à l’image et à la figuration est différent. C’est pourquoi nous allons être extrêmement attentifs à la façon de montrer les choses. Mettre un chef-d’œuvre à Abou Dhabi, cela n’est pas suffisant. Nous voulons faire un musée pour l’ensemble des publics.

Les Émiratis ont-ils exprimé des exigences sur certaines œuvres en particulier ?
Non, aucune. Notre projet contient de l’art contemporain, qui sera peut-être intégré sous la forme de commandes à des artistes. L’agence compte aujourd’hui cinq conservateurs. Je suis content que le projet ait attiré des personnalités aussi diverses que Laurence des Cars ; Emmanuel Coquery, qui vient du Louvre et des musées de la Ville de Troyes ; Olivier Gabet, du Musée d’Orsay ; Manon Six, ancienne élève de l’Institut national du patrimoine ; et Jean-François Charnier, archéologue venant de la direction de l’Architecture et du Patrimoine. Il nous manque des compétences en arts asiatiques et en art moderne et contemporain. Nous allons à brève échéance couvrir l’ensemble du champ.

Y aura-il de l’art islamique provenant des collections françaises ?
Nous devons procéder à un inventaire de ce qui se trouve aux Émirats et que nous connaissons mal. Des prêts issus des collections françaises viendront enrichir la collection. Nous allons aussi conseiller aux Émiratis d’acquérir des pièces importantes dans ce domaine. Nous allons les conseiller sur la déontologie des acquisitions en matière d’antiquités, une question délicate pour ce type de pièces.

En ce qui concerne l’acquisition des œuvres d’art, ne risque-t-il pas d’y avoir des conflits d’intérêts entre la France et Abou Dhabi ?
Au départ, les conservateurs français devaient acheter pour le Louvre-Abou Dhabi, ce qui les plaçait dans une situation difficile. Aujourd’hui, c’est l’agence qui joue un rôle de conseil auprès des Émiratis. Les conservateurs que j’ai recrutés sont des salariés de l’agence ; ils n’ont plus aucun lien juridique avec les musées français dont ils sont issus. D’un autre coté, ils sont suffisamment proches pour pouvoir discuter avec leurs homologues des musées français. Aujourd’hui, lorsqu’une acquisition se présente, les conservateurs qui pourraient être intéressés s’appellent et se mettent d’accord. Au moment de la vente Breton, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris et le Centre Pompidou ont dialogué pour acheter de la meilleure manière possible. Nous voulons faire la même chose au Louvre-Abou Dhabi, promis à devenir un acteur du réseau international des musées. À ce titre, il devra être capable d’entretenir de bonnes relations avec les autres musées.  Par la suite, la collection du Louvre-Abou Dhabi pourra être prêtée. Dans l’océan des transactions, le Louvre-Abou Dhabi, même s’il dispose de 40 millions d’euros pour ses acquisitions, représente une goutte d’eau.

Le Louvre-Abou Dhabi ne risque-t-il pas tout de même d’avoir une influence sur le marché ?
Cela dépend des disciplines. Mais nous allons suggérer aux Émiratis de ne pas acheter uniquement en salle des ventes, d’approcher aussi des collectionneurs privés de la région pour leur acheter de gré à gré des œuvres. Le Louvre-Abou Dhabi sera un musée à part entière et disposera de la panoplie complète des options d’achat d’un musée classique : achat aux familles, en vente, en galerie ou aux artistes vivants. Tout sera fait pour que les choses se passent dans un climat de coopération au niveau du tissu muséal international.

Les différents musées de ce nouveau pôle culturel sur l’île de Saadiyat ne risquent-ils pas de se chevaucher sur le plan intellectuel et scientifique ?
Dans les grandes capitales mondiales, il est fréquent que plusieurs musées aient des propos voisins, ce qui ne les empêche pas de recevoir du monde. Les Émiratis ont dans l’idée de créer un organe de coordination des instances culturelles de l’île, un lieu de dialogue avec nos homologues. Nous avons un travail de calage à faire avec les équipes du Guggenheim que nous connaissons bien. Cela ne devrait donc pas être un problème. De mon point de vue, les identités des différents musées apparaissent assez distinctes pour que les chevauchements soient limités.

Il est prévu que seuls les établissements qui prêteront au Louvre-Abou Dhabi bénéficieront des retombées économiques. Ne serait-il pas plus juste que tous les musées français en bénéficient puisque les collections du Louvre sont des collections nationales ?
Les établissements prêteurs seront à la fois les établissements qui se trouvent à la naissance de l’agence, mais aussi ceux qui ne le sont pas comme le Musée des arts décoratifs, qui pourrait être intéressé. J’ai commencé à contacter un certain nombre de grands musées de province, à commencer par Lille, pour des collaborations sous forme de prêts d’œuvres. Nous devons fournir quatre expositions par an pendant quinze ans. Nous pourrions donc monter des expositions ou reprendre des expositions de musées en régions. Tous les établissements qui ont envie de travailler avec nous sont les bienvenus. Nous trouverons des formules adaptées aux spécificités de chacun. Mon message est qu’il ne s’agit pas seulement du projet du Louvre ou des musées parisiens, mais bien d’un projet des musées de France. Nous souhaitons associer la communauté scientifique. Le fait qu’Emmanuel Coquery, qui a dirigé pendant trois ans un musée de province, nous ait rejoints et s’occupe de ce dossier montre bien l’importance que cette question revêt pour nous.

Quelles seront les retombées financières pour les prêteurs ?
Je dispose de moyens financiers pour monter des expositions et les établissements qui participeront aux expositions et aux prêts d’œuvres bénéficieront de retombées positives. Il y aura mille manières d’associer les établissements : pour des conseils sur un aspect du musée ou un programme pédagogique, des notices... Le Louvre aussi bien que la direction des Musées de France sont d’accord sur ce principe.

France-Muséums va-t-il nouer des liens spécifiques avec la Réunion des musées nationaux (RMN) pour participer à l’aventure ? Pourrait-on, par exemple, imaginer une exposition du Grand Palais allant à Abou Dhabi ?
La RMN est membre du conseil d’administration de l’agence. Tout est ouvert, nous sommes désireux de créer les associations les plus fructueuses possible et la RMN, en tant que producteur d’expositions de grande qualité et de rang international, a vocation à rentrer dans ce type d’opération. Nous voulons également faire des co-commissariats. Nous n’allons pas tout faire à France-Muséums, l’agence ne devrait pas compter d’effectifs supérieurs à trente personnes. Nous ferons avec les autres.

Quelle place le Louvre occupe-t-il au sein de France-Muséums ?
Les relations avec le Louvre sont très étroites. Henri Loyrette préside le conseil scientifique de l’agence. Nous bénéficions d’une grande liberté d’initiative. Le Louvre, qui détient un tiers des voix au conseil d’administration, est un de nos interlocuteurs principaux. D’autres sont importants, comme le président du conseil d’administration, par ailleurs grand mécène du Louvre, Marc Ladreit de La Charrière (président de Fimalac), qui s’est beaucoup investi dans ce dossier. Ses conseils sont précieux car il a une expérience de chef d’entreprise irremplaçable. Nous avons aussi des parrains. Le conseil scientifique, composé de neuf membres, est enfin très impliqué dans le projet et le Louvre y est représenté par trois personnes.

Une exposition a-t-elle retenu votre attention récemment ?
Une exposition et un musée. J’ai particulièrement aimé l’exposition réalisée au Louvre par Sophie Makariou sur la collection de l’Aga Khan. Elle était de taille maîtrisée, le choix d’objets était sublime. L’Aga Khan a un goût très sûr et il est très bien conseillé. Les pièces que Sophie Makariou avait sélectionnées étaient d’une rare qualité et cela faisait plaisir de les voir à Paris. Ensuite, le Musée Jacquemart-André. Véritable petit Louvre, il montre le rôle que peuvent jouer les grands mécènes dans le monde de l’art d’aujourd’hui. Leur contribution est essentielle à la marche de notre système.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°273 du 18 janvier 2008, avec le titre suivant : Bruno Maquart, directeur de France-Muséums

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque