Musée

Beyrouth - Le combat des artistes

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 17 novembre 2011 - 949 mots

BEYROUTH / LIBAN

Meurtrie par des années de guerre, la ville a vu son patrimoine gravement endommagé. Aujourd’hui les artistes se battent pour préserver ce qui peut encore l’être et lutter contre l’amnésie. Dans ce contexte, les lieux d’exposition se multiplient et les musées font peau neuve.

Après de longues années de conflits et d’instabilité, la capitale libanaise est de nouveau prisée des touristes du monde entier, séduits par son métissage, entre Orient et Occident. Beyrouth est en effervescence. La vie semble d’autant plus intense que la ville a été maintes fois bombardée. Un seul mot pour qualifier cette frénésie, selon la galeriste Aïda Cherfan installée dans le Downtown Beirut rénové : « renaissance ». Boutiques ultraluxueuses alternent avec immeubles en ruine, galeries avant-gardistes avec vestiges archéologiques, restaurants branchés avec bouis-bouis, plages privées avec souks… Le soir venu, la fête bat son plein dans l’hypercentre, place de l’Étoile, dans les secteurs branchés de Gemmayzé ou de Saifi investis par les marchands d’art, à la terrasse des cafés ou des restaurants proposant des mezzés face à la mer…

Constructions et rénovations
Une promenade ici est un concentré d’histoire. Sur les murs, les graffitis d’artistes de street art le disputent aux impacts de balles. Chantiers en tous genres, forêt de grues… Beyrouth multiplie constructions contemporaines ou rénovations d’édifices de caractère, parfois pour les transformer en lieux de mémoire ou d’exposition : c’est le cas de la Maison Jaune, futur Musée d’histoire de la ville de Beyrouth, ou du Beirut Exhibition Center, un cube de verre et de métal de 1 200 m2 situé sur des terres gagnées sur la mer. Le Musée d’art moderne et contemporain Sursock, modèle d’architecture de styles italien et ottoman en cours de rénovation, s’y délocalise pour son salon d’automne. Et Menasart, la première foire d’art contemporain dédiée aux artistes moyen-orientaux, nord-africains et d’Asie du Sud, l’a squatté l’été dernier.

Une quarantaine de galeries ont désormais élu domicile dans la capitale libanaise, dont Sfeir-Semler et Kettaneh Kunigk, qui avaient participé à Paris-Photo en 2009, ou Running Horse présente à l’événement Slick lors de la Fiac 2010. « Les talents sont nombreux ici, mais il faut les exporter car la guerre et l’étroitesse du pays les ont longtemps privés de débouchés », observe Naila Kettaneh Kunigk. « Il y a une vraie dynamique de la scène artistique libanaise », renchérit Laure d’Hauteville, organisatrice de Menasart. Même constat de la part de Stéphane Attali, directeur de l’École supérieure des affaires, qui va transformer la Villa Rose érigée sur son campus, une résidence édifiée au XIXe siècle par une famille de soyeux lyonnais, en centre de formation mais aussi en centre de propositions culturelles ouvert aux artistes contemporains.
 
Un patrimoine à sauvegarder
Mais il ne faudrait pas que dans ce souci de tourner le dos à son passé mouvementé Beyrouth laisse les bulldozers emporter son âme. Moins de trois cents édifices érigés entre le XVIIIe siècle et la fin du mandat français ont été préservés. Les autres ont été détruits par des promoteurs, malgré le combat d’artistes et d’intellectuels, accusant les appétits de ces entrepreneurs menés par l’ancien Premier ministre Rafic Hariri au sein de Solidere, la société chargée de la reconstruction du centre-ville.
Parmi les dernières controverses, la destruction programmée du City Center, dôme de béton géant construit dans les années 1960, ancien cinéma témoignant de l’âge d’or de la ville, devenu lieu d’expositions et de performances artistiques qui, aux yeux de nombreux Libanais, a toute sa place sur cette place des Martyrs avec sa coquille criblée de balles…

Le Musée d’archéologie de l’Université américaine
Au milieu du havre de verdure que constitue le campus de l’Université américaine de Beyrouth en plein cœur de la ville, ce musée d’archéologie est l’un des plus anciens du Moyen-Orient. Quasi épargné par la guerre, il réunit 4 000 pièces venues notamment du Liban, de Syrie, de Palestine, d’Égypte, d’Irak et d’Iran, de la préhistoire à la période islamique : tablettes sumériennes, poteries phéniciennes, verres irisés romains, figurines de plomb, pièces de monnaie, objets funéraires…

Le somptueux Musée Robert Mouawad
Dans cette résidence orientale, l’ancien politicien libanais Henri Pharaon a réuni une précieuse collection d’art chrétien et d’art islamique : boiseries syriennes, iconostase du XVIe siècle, porcelaines chinoises, faïences de Damas, premier Coran imprimé et Bible polyglotte… Sans parler des bijoux exceptionnels tels le collier d’Élizabeth II d’Angleterre ou l’Excelsior, le deuxième plus gros diamant du monde, ajoutés par le joaillier Robert Mouawad, actuel propriétaire du musée. www.rmpm.info

Le miracle du Musée National
Sur la ligne de démarcation entre Beyrouth Est et Ouest, comme la Maison Jaune, cet édifice Art déco abrite les antiquités découvertes sur le territoire du Liban, de la préhistoire au XIXe siècle : mosaïques, bijoux, statues, sarcophages, monnaies, céramiques, boiseries, armes… Rénové par Wilmotte, le principal musée de la ville doit sa survie au sang-froid de son ancien conservateur. En 1975, dès que la guerre éclate, il mure les petits objets dans les sous-sols, recouvre les mosaïques et les pièces intransportables de structures en bois sur lesquelles des chapes de béton seront coulées quelques années plus tard. Le tout est ainsi préservé des tirs comme des pilleurs. www.beirutnational museum.com

La friche du Beirut Art Center
C’est une friche industrielle en périphérie de Beyrouth, caractéristique de ce réveil artistique de la ville. Monté par Lamia Joreige, artiste vidéaste, et Sandra Dagher, galeriste, avec quelques mécènes, le Beirut Art Center produit cinq expositions par an, et des solo shows d’artistes régionaux et internationaux, comme Mona Hatoum. « Nous organisons aussi des événements pour promouvoir des artistes émergents », précise Lamia Joreige. Le BAC dispose également d’un auditorium où sont proposés des conférences, des films ou des concerts, d’une librairie et d’un café. beirutartcenter.org

C’est une Maison Jaune

C’est l’un des grands chantiers en cours. Il s’agit d’un édifice incroyable, situé sur l’ex-ligne de démarcation entre Beyrouth Est et Ouest, une maison de style ottoman construite en 1924. Pendant la guerre civile, « l’immeuble Barakat », du nom de ses anciens propriétaires, est devenu le repère de francs-tireurs comme en témoigne sa façade criblée d’impacts d’obus. Voué à la destruction en 1997, il a été sauvé par des Libanais amoureux de leur patrimoine, jusqu’à ce que la municipalité de Beyrouth décide de l’acquérir en 2003 pour en faire un musée de la mémoire, réunissant des objets qui retraceront 7 000 ans d’existence de la cité. La visite de Bertrand Delanoë a définitivement lancé le projet, ce dernier apportant la maîtrise d’ouvrage de la Mairie de Paris ainsi que l’expertise du Musée Carnavalet.

Pour l’architecte Youssef Haidar qui conçoit ce lieu culturel d’échanges censé ouvrir début 2013 : « Cet immeuble d’angle qui amorce une certaine modernité par l’usage du béton, est un bâtiment charnière ; les snipers ont fait de son architecture une machine de guerre, y construisant un blockhaus et des meurtrières, détruisant ses escaliers… Il sera le premier “objet�? d’une collection dédiée à l’histoire de la ville. » Le parti pris est de préserver certains témoignages en l’état, avec quelques cartels pour expliquer. « Ce ne sera pas un monument aux morts mais un lieu de travail sur l’histoire et la mémoire de la ville pour ne plus jamais vivre ça. Jusqu’ici on a préféré l’amnésie généralisée alors que la poudrière peut se réactiver. »

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : Beyrouth - Le combat des artistes

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque