Art contemporain - Prix

Éditorial

Prix d’art : un système à bout de souffle

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 23 juin 2025 - 507 mots

Trop de prix, peu de mémoire : l’inflation des distinctions dans l’art contemporain nuit à leur visibilité, pour l’éditorialiste du JdA.

Marcel Duchamp, Fontaine (1917) - Photo filosofianetdadaismo - CC BY 2.0
Marcel Duchamp, Fontaine (1917) .

Distinctions. C’est une situation maintes fois commentée dans ces colonnes : il existe trop de prix en art contemporain. Cette profusion nuit à leur potentiel de notoriété et qu’aucun prix n’émerge réellement. Et lorsqu’un prix acquiert une petite réputation dans le milieu étroit de l’art contemporain, on est bien en peine de se souvenir des lauréats : un comble pour des distinctions censées mettre en valeur ceux qu’elles récompensent. Très souvent d’ailleurs, les noms des prix sont des marques commerciales qui les considèrent comme des outils de communication destinés à mettre en avant la marque ou flatter le narcissisme de son organisateur. Et comme tout dispositif de ce type, les prix peuvent être abandonnés en fonction des intérêts des marques. La Fondation Pernod Ricard, qui a annoncé la fin de son prix, suit en cela une autre marque du groupe de spiritueux – Absolut Vodka – et son prix éponyme à l’existence éphémère. Lorsque la marque traverse des difficultés ou change de stratégie, elle n’hésite pas à abandonner son prix : Emerige en raison de la crise de l’immobilier, l’hôtel Le Meurice à cause du mauvais buzz autour de son propriétaire – le sultan de Brunei – accusé de lapider les homosexuels, ou plus ancien, Altadis, un fabricant de cigarettes, qui n’a pas résisté à son rachat par un concurrent. Aux États-Unis, Hugo Boss ne remet plus de prix depuis 2020.

Il ne faut pas pour autant discréditer les prix, qui à des degrés divers, bénéficient aux lauréats par leur dotation financière, leur accompagnement dans la production d’une œuvre, d’une exposition ou d’un catalogue. On regrette simplement qu’aucune cérémonie, à l’instar des César, des Molière ou des Victoires de la Musique, ne récompense les arts plastiques. Au passage, l’idée selon laquelle les artistes contemporains rejettent la compétition est battue en brèche par les événements précités qui récompensent comédiens, scénaristes de films ou de théâtres, chanteurs-compositeurs…

Un sort à part doit être réservé aux prix en littérature, tout aussi, voire plus nombreux, que ceux en art contemporain, et dont plusieurs (Goncourt, Renaudot, Médicis...) sont des rendez-vous très attendus. Outre que l’on compte beaucoup plus de lecteurs actifs que d’amateurs passionnés d’art, la lecture suppose un engagement, un investissement intellectuel et psychologique différent en degré et en nature de la contemplation d’une œuvre d’art. L’attachement aux prix s’en trouve renforcé.

Précisions de la Fondation Pernod Ricard - 24/06/2025 

« À rebours de ce qui est indiqué dans cet éditorial, la Fondation Pernod Ricard - première à avoir instauré un prix d’art contemporain en France, qu’elle a fait vivre pendant plus de vingt-cinq ans - a choisi de faire évoluer sa distinction afin de mieux répondre aux enjeux actuels entre artistes et institutions. Elle opte pour une voie alternative : accompagner les artistes à un moment décisif de leur parcours, repenser la notion d’émergence, en ouvrant des perspectives durables, bien au-delà d’une simple exposition. »

Antonia Scintilla, directrice de la Fondation Pernod Ricard

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°658 du 20 juin 2025, avec le titre suivant : Prix d’art : un système à bout de souffle

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