Art moderne - Mode - Musée

Mister Smith au Musée

Par Pascal Ory · Le Journal des Arts

Le 23 avril 2023 - 649 mots

PARIS

Le Musée Picasso de Paris a fait peau neuve. La formule peut paraître passe-partout dès lors qu’il s’agit de parler d’un nouvel accrochage, d’une nouvelle scénographie, d’un nouvel itinéraire. Mais elle trouve ici toute sa signification quand on examine de plus près de quoi il retourne et qui est à la manœuvre. 

Faire appel à Paul Smith a ici évidemment du sens, quel que soit ce qu’on en pense, la visite terminée. Smith n’est pas un couturier si on met dans ce mot la recherche de formes et de matières incessamment portée par le désir d’innover voire, plus au fond encore, de surprendre, dans une démarche qui a beaucoup à voir avec celle du plasticien moderne. C’est un styliste (fashion designer), qui a imposé avec succès un décor reconnaissable. Qu’au cœur de celui-ci trône, pour le plus large public, un système de rayures colorées s’interprète moins en termes de style que de marque.

Tout ce qui précède pourrait être pris en mauvaise part : une entreprise prendrait ici le pouvoir dans un établissement public, la confrontation entre deux personnalités ne ferait plus dialoguer deux artistes – comme, au même moment, au Musée d’Orsay, Manet et Degas – mais un créateur et un habilleur. Il y a donc une manière négative d’aborder ce qui reste, plus qu’une idée à la mode, une expérience risquée, et il faut reconnaître que les premiers choix de la visite donnent à Smith des verges pour se faire battre. Ainsi de cette salle où la Tête de taureau de 1942, composée tout simplement d’une selle et d’un guidon, fait face à un mur de répliques à la Warhol. Chemin faisant, cependant, la « direction artistique » de Smith se saisit du visiteur et, plaidant l’ignorance face aux discours savants, le prend sinon « par les sentiments » du moins par la sensibilité. C’est déjà clair dans la salle où divers portraits de femme – souvent égéries de leur « maître » – se retrouvent comme soulevés au-dessus d’eux-mêmes en direction d’un haut plafond par de grosses rayures aux couleurs vives. On redécouvre alors l’importance du cadre architectural – ici celui d’un hôtel particulier du XVIIe siècle – dans la vie et – pourrait-on dire – la vibration des œuvres exposées.

L’évidence de l’interaction saute aux yeux dans les salles où l’identité du lieu et des œuvres tint non dans des figures mais dans des tonalités, telles la salle rose « Autour des Demoiselles d’Avignon » ou la salle bleue renvoyant à la période du même nom. Et c’est là, dans ces pièces où le dialogue du sensible et de l’intellectuel fonctionne le mieux, qu’en prime la « direction » du fashion designer nous offre matière à réflexion sur un sujet qui va bien au-delà d’une exposition temporaire dans l’air du temps. Car le petit jeu qui s’y déploie conduit à s’interroger sur l’importance des environnements dans l’appréciation des œuvres d’art. Les littéraires parlent de « péritexte » pour réunir dans une même lecture – longtemps jugée anecdotique – les titres, préfaces et autres pages de couverture dont on ne peut nier qu’elles jouent un rôle dans le jugement du lecteur. Les œuvres d’art plastique ont aussi leurs seuils, leurs entours et alentours, qu’on aurait bien tort de traiter par le mépris. Tout est alors affaire de dispositif. De cadre pour un tableau, de socle pour une sculpture, de cartel ou de panneau. Mais l’exposition ludique de Paul Smith est là pour nous rappeler qu’il n’y a pas de jugement d’œuvre indépendamment des couleurs, des éclairages et des dimensions d’un mur ou d’un plafond. Sans en avoir fait la théorie, Mister Smith, aussi innocent que le personnage ingénu du film de Frank Capra (Mr. Smith goes to Washington), rappelle que le roi est nu et que le white cube théorisé à partir des années 1970 n’est pas plus neutre et pertinent que le rouge pompéien du XIXe siècle, présentement ramené en grâce par notre sensibilité post-moderne. Élémentaire, mon cher Smith.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°609 du 14 avril 2023, avec le titre suivant : Mister Smith au Musée

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