Art contemporain

Le sex-toy de… Sarah Trouche

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 27 octobre 2020 - 654 mots

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci... Sarah Trouche.

Fétiche -  Son objet fétiche n’a jamais aussi bien porté son nom : il s’agit d’un sex-toy ! Histoire de ménager son effet, l’artiste ne l’évoque pas tout de suite. Sarah Trouche est ce qu’on appelle une « nature ». Brune, plantureuse et tout sourire, elle dégage une bouillonnante énergie vitale. Elle raconte, se raconte, explique son travail avec enthousiasme. Ça part un peu dans tous les sens. Qu’importe : elle est habitée par un élan créatif surpuissant et communicatif ! Il lui faut du courage et de la détermination pour accomplir ses performances dans lesquelles elle se met en scène, nue, le corps recouvert d’une couleur vive, choisie, précise-t-elle, « par les habitants qui deviennent complices de [ses] actions ». C’est le cas, notamment, pour Sahara Nomad, où elle danse au milieu du désert, peinte en bleu indigo, un chèche sur la tête, afin de mettre en lumière la communauté berbère qu’elle juge « sous-représentée dans le milieu culturel établi », ou pour Action for Jinmen Island où, peinte en jaune, elle prend l’opinion mondiale à témoin du sort des îles taïwanaises revendiquées par la Chine communiste, ou encore pour Aral Revival réalisée au Kazakhstan, actuellement visible à la Fondation EDF, qui la présente peinte en bleu turquoise, « selon le vœu des habitants, car c’est la couleur de leur drapeau ». Elle est vue de dos, debout sur la proue d’un cargo échoué sur cette mer asséchée par la surexploitation humaine, tenant dans ses mains deux drapeaux surdimensionnés de l’alphabet sémaphore. Sarah Trouche réalise aussi des sculptures. Sur des étagères figurent une rangée de têtes (la sienne) moulées en savon, et sur lesquelles elle a tiré avec une carabine pour faire écho à la violence de l’attentat du Bataclan. Un impressionnant alignement de gueules cassées. Il y a aussi des tableaux-reliefs gardant l’empreinte de ses mains grattant l’argile en signe d’attachement à son territoire natal. Elle explique : « Je considère mon travail comme un engagement. J’utilise mon corps pour aider les autres à protester. Je me retrouve dans la phrase de l’écrivain sénégalais Felwine Sarr, “fissurer l’ordre ordinaire par une présence qui consacre”. Elle a appris la peinture dès l’âge de 13 ans auprès d’un peintre de la Marine, et savait déjà qu’elle voulait être artiste. Elle a fait une entrée fracassante aux Beaux-Arts de Paris grâce à une action coup de poing : elle s’est jetée dans le vide, nue, du pont Notre-Dame à Paris (avec un harnais, tout de même !) pour alerter sur le sort des sans-abri qui vivaient à cette époque sur les quais de Seine. Elle dit : « J’aime ce type d’action fraternelle, je vis entre Paris et mon village natal de Saint-Laurent-Médoc où j’ai créé une association pour montrer des arts en ruralité. » Elle ajoute : « La performance qui engage le corps touche tous les sens. On ressent immédiatement l’énergie qui passe. » Le corps comme outil de médiation, de rencontre avec l’autre ? « Absolument, je prends des risques pour dire : je vous entends, qu’est-ce que je peux faire pour vous ? » Mais alors, pourquoi le womanizer, ce sex-toy vedette qui n’a rien d’altruiste ? « Je l’emmène partout en voyage lorsque je pars seule pour réaliser des actions, ça me permet de recharger mes batteries, d’avoir confiance en moi ! » Cette extravertie qui n’a pas froid aux yeux aurait-elle une vision hygiéniste du sexe ? Serait-elle plutôt côté Britney Spears, qui a fait un tube autour de ce fameux sex-toy, que côté Georges Bataille et ses écrits sulfureux ? Elle évoque l’empowerment, c’est-à-dire ce besoin pour une femme de reprendre le pouvoir : « J’ai appris la pole dance, dit-elle, c’est aussi une façon de performer en verticalité. » Pourrait-elle s’inspirer de son sex-toy pour une future performance ? « Bonne question ! », répond-elle en riant, avant de répondre : « Oui, je pourrais traiter du sujet de la masturbation au féminin. » À suivre…

Sarah Trouche est présente dans l’exposition « Courants verts » , à la Fondation EDF à Paris, jusqu’au 31 janvier 2021. L’une de ses performances inaugurera également la résidence « Les protagonistes » , au Centre d’art La Graineterie, à Houilles.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°738 du 1 novembre 2020, avec le titre suivant : Le sex-toy de… Sarah Trouche

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