Société

La suppression insuffisante d’un symbole, l’ENA

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2021 - 579 mots

STRASBOURG

Pour l’heure, l’annonce par Emmanuel Macron de la suppression de l’École nationale d’administration, ou plutôt de son remplacement par un Institut du service public, relève de l’opération de communication tant que le contenu et les contours de ce futur ISP ne seront pas connus.

L'ancienne Commanderie Saint-Jean à Strasbourg (à gauche de l'image) accueille l'ENA depuis 1981. © Stefano Merli, 2016, CC BY-SA 2.0
L'ancienne Commanderie Saint-Jean à Strasbourg (à gauche de l'image) accueille l'ENA depuis 1981.
Photo Stefano Merli, 2016

En outre, vouloir faire croire qu’en déboulonnant un symbole devenu un bouc émissaire, on supprimera les maux de la technocratie et les carences de l’État est un leurre. L’énarchie peuple les directions, les établissements du ministère de la Culture, qui est devenu un entre-soi où des énarques polyvalents s’échangent leurs postes, mais c’est l’impéritie de ministres successifs, étrangement peu habités par la culture, qui leur a laissé le champ libre pour faire prévaloir une logique budgétaire et comptable sur la question du sens de l’action publique.

C’est Nicolas Sarkozy qui avait voulu en 2007 une Révision générale des politiques publiques (RGPP) pour prétendument moderniser l’administration et surtout faire baisser les dépenses publiques. Les énarques ont obtempéré et modernisé ce ministère en regroupant de multiples services en trois méga-directions : création artistique, patrimoines, médias et industries culturelles. Ainsi était créée la fonction de directeur général de la création artistique. Déjà, le titre avait fait sourire : qui pourrait, qui oserait « diriger » la création artistique ? Même les artistes n’y prétendent pas. Puis, l’impétrant devait embrasser très large, être aussi à l’aise avec les arts visuels, que la musique, le théâtre, la danse et les enseignements artistiques. Même un mouton à cinq pattes ne pourrait arbitrer la diversité de tant de dossiers, de surcroît dans des délais plausibles. Conséquence : l’administration s’est encore plus éloignée du terrain. Elle s’est davantage bureaucratisée, ankylosée, tout en sachant, paradoxalement, produire des circulaires pour simplifier les procédures mais dont la multiplication complexifiait les tâches.

L’établissement public est devenu le credo de la bonne gestion dans tous les champs culturels. Grâce à lui, des services du ministère ont bénéficié d’une plus grande autonomie, d’un budget autonome. C’est le cas de grands musées, en particulier. Mais sous la recommandation de la Cour des comptes, un sanctuaire d’énarques, ce statut a été imposé à de petites structures leur faisant perdre leur souplesse, épuisant leurs responsables dans des obligations administratives qui réduisaient leur temps consacré aux missions artistiques. Là encore, ce sont des politiques qui décident. 19 des 22 Fonds régionaux d’art contemporain bénéficiaient encore du régime associatif. Le président de la Région Normandie, Hervé Morin, a décidé que les deux Frac de Normandie seront réunis sous la forme d’un Établissement public de coopération culturelle. Les établissements doivent rendre compte à leur direction de tutelle. Et c’est là, que le bât blesse. Les hauts fonctionnaires sont éloignés de l’action concrète, la tutelle au lieu d’être prospective, de prodiguer des conseils, de pratiquer une veille sur ce qui se fait à l’étranger, se révèle inconsistante et tatillonne sur la comptabilité. Ces établissements doivent consacrer du temps à élaborer un contrat dit « de performance », joli mot en matière culturelle, contrat éparpillé en de multiples objectifs et indicateurs alors que deux ou trois suffiraient. L’efficacité, « l’excellence » sont les règles, le hors norme, le risque rarement des exceptions. Ce sont eux, pourtant, qui stimulent la création artistique. « En vingt ans, le ministère de la Culture s’est en quelque sorte détricoté en une espèce de structure absurde. Il faudrait lui redonner une véritable armature, un véritable sens » : le constat de Jack Lang, en 2015 dans la revue Le Débat (n° 187), était implacable. ENA ou pas, il le reste.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°566 du 30 avril 2021, avec le titre suivant : La suppression insuffisante d’un symbole, l’ENA

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