Société

Et pourtant, ceci reste une cigarette

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2025 - 614 mots

Le printemps est de retour et avec lui David Hockney qui nous offre à la Fondation Louis Vuitton une ode à l’éclosion de la nature, à la joie.

Affiche réalisée par David Hockney pour l'exposition « David Hockney 2025 » à la fondation Louis Vuitton  et refusée par la RATP en raison de la loi Evin. © David Hockney
Affiche réalisée par David Hockney pour l'exposition « David Hockney 2025 » à la fondation Louis Vuitton et refusée par la RATP en raison de la loi Evin.
© David Hockney

« Do remember they can’t cancel the Spring », (souvenez-vous-en, ils ne peuvent annuler le printemps), proclame l’artiste, affichant, du haut de ses 87 ans, son plaisir d’être toujours actif. Certes, une saison ne peut encore être annulée. Mais des publicitaires peuvent toujours refuser l’affichage dans le métro parisien d’une photographie mettant en scène l’une de ses œuvres, en application obtuse de la loi Evin. Un nouvel incident croquignolesque produit par ceux qui n’ont toujours pas compris ni Magritte ni Hockney, ni la loi Evin.

Pour son dernier autoportrait, Play within a Play within a Play and Me with a Cigarette (Scène dans une scène dans une scène et moi avec une cigarette 2024-25), David Hockney s’est amusé à un jeu de miroirs. Veste à carreaux sur gilet turquoise, cravate rouge, lunettes jaunes, il est assis dans son jardin de Londres. L’air espiègle, il nous fixe, semblant peindre le tableau qui est déjà accroché sous nos yeux. L’image dans l’image. Facétieux. Pour la communication de l’exposition, il a rajouté une image supplémentaire en se faisant photographier dans une scène identique au tableau. Dans une main, l’artiste tient un pastel, dans l’autre une cigarette. Minuscule cigarette d’abord peinte puis photographiée et ce serait cette dernière la cause du délit. La loi Evin (1991) proscrit toute publicité directe ou indirecte des produits liés au tabac. Mediatransports, filiale de Publicis, a donc refusé, comme déjà, cette proposition d’affiche pour le métro. L’épisode choque – et amuse aussi sans doute – l’artiste, grand fumeur invétéré depuis l’âge de 16 ans : « Interdire une image est déjà assez grave, mais faire une différence entre une photographie et une peinture me paraît une folie totale », a-t-il déclaré à The Independent. Pauvre minuscule cigarette photographiée, accusée de faire la promotion du tabac.

Dans le passé, le combat anti-nicotine s’était aussi illustré par une pratique sans vergogne s’autorisant à retoucher des œuvres originales. En 1996, la Poste manipule le portrait d’André Malraux par Gisèle Freund pour en faire un timbre « hygiénisé ». Ses lèvres sont débarrassées d’une cigarette légendaire. En 2005, Jean-Paul Sartre, photographié par Boris Lipnitzky, perd pour l’affiche et la couverture d’un catalogue d’exposition à la BNF le mégot qu’il tenait dans sa main. Et pourtant, cette fameuse cigarette n’était-elle pas un attribut, un emblème de l’image de ces deux intellectuels, comme la pipe pour Jacques Tati, néanmoins gommée dans le métro pour l’affiche de sa rétrospective à la Cinémathèque en 2009. À l’époque, l’ancien ministre Claude Evin avait lui-même critiqué cet excès de zèle, en soulignant que cette image – issue et manipulée du film Mon Oncle– n’entrait pas dans le cadre d’une publicité pour le tabac mais relevait plutôt du patrimoine culturel. Sage Evin, débordé comme Frankenstein par sa créature qui tétanise encore des publicitaires.

Le tableau aujourd’hui le plus célèbre de Magritte, conservé au Lacma de Los Angeles, date de 1929 : une simple pipe, peinte de profil de la manière la plus réaliste, comme une affiche. L’objet a un caractère d’évidence totale. Pourtant, en dessous, une légende à l’écriture appliquée, imitant celle d’un instituteur, brouille le message : « Ceci n’est pas une pipe. » La peinture affirme que la représentation la plus scrupuleuse ne peut être une identification, cette pipe ne peut être fumée. L’image figurant malicieusement la réalité n’est donc qu’un leurre, une illusion. Magritte, lui aussi, est très sérieux tout en s’amusant. Il intitule cette peinture : La trahison des images, car il sait bien de quoi il parle. N’a-t-il pas été longtemps dessinateur publicitaire, avant de honnir ce métier ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°654 du 25 avril 2025, avec le titre suivant : Et pourtant, ceci reste une cigarette

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