Vandalisme

Efficacité de militants écologistes, maladresse de musées

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2022 - 598 mots

Quelle que soit sa justesse, une manifestation doit en grande partie son succès aux images qu’elle produit.

L’époque le prouve encore davantage. À cet égard, la capacité en communication de jeunes militants écologistes radicalisés contraste avec la maladresse des directeurs de grands musées, affichant ignorer les motivations des premiers et semblant ainsi écarter tout dialogue permettant d’apaiser la situation.

Comme en 2020, lors du déboulonnage de statues un peu partout dans le monde, nous assistons maintenant en Europe et ailleurs à des actions violentes menées dans des musées par de jeunes militants de « Just Stop Oil » (« Arrêtez le pétrole », tout simplement), « Letzte Generation » (« Dernière génération »), « Extinction Rebellion »… De Londres à Melbourne, en passant par Potsdam, La Haye, Vienne ou Madrid, chaque fois, le scenario est presque le même, malgré quelques échecs, comme à Oslo et Paris. Deux jeunes parviennent à déjouer la surveillance, aspergent un tableau et se collent les mains sur le cadre ou sur le mur avant de déclamer des slogans contre les énergies fossiles. Chaque fois, une vidéo de l’attaque est rapidement diffusée sur les réseaux sociaux et les médias s’en font l’écho. Comme ces organisations veulent frapper le grand public, seuls des musées prestigieux sont sélectionnés, la National Gallery, le Mauritshuis, le Prado… Seuls aussi sont retenus des artistes connus dans le monde entier, même si leurs œuvres n’ont aucun rapport avec l’objet de la manifestation : Van Gogh, Monet, Vermeer, Klimt, Goya… Ils repèrent des tableaux protégés par des vitres, pour vouloir signifier qu’ils ne s’en prennent pas aux œuvres elles-mêmes, mais aux musées.

Même si l’essentiel – la toile – est à chaque fois préservé, l’inquiétude des musées est légitime. Un risque de dérapage, de violence existe toujours. Le cadre, le mur, le sol doivent être nettoyés, la surveillance doit être renforcée. Aussi, la plupart des directeurs de grands musées en France, en Europe, en Amérique se sont fendus d’une déclaration publiée le 9 novembre dernier par la section allemande de l’International Council of Museum (ICOM) : « Les activistes responsables de ces attaques sous-estiment largement la fragilité de ces œuvres irremplaçables qui doivent être préservées car faisant partie intégrante de notre patrimoine culturel mondial. […] Nous sommes profondément choqués par leur mise en danger inconsidérée. » Pas un mot dans cette brève réaction sur le danger du réchauffement climatique, pas une phrase sur leur prise en compte nécessaire des questions écologiques. De quoi jeter de l’huile sur le feu.

Aussitôt, les contre-réactions se sont emballées. Celles-ci faisaient valoir qu’ainsi les musées, « profondément choqués » par l’attaque des œuvres et non par celle de la planète, donnaient raison aux militants qui clament : « Êtes-vous plus préoccupés par la protection d’une peinture que par celle de la planète et de sa population ? » Et de rappeler que ces institutions ont accueilli pendant des années à bras ouverts le mécénat de sociétés pétrolières, comme Elf, Total ou BP et qu’elles n’ont cessé de le faire que grâce à leurs manifestations répétées. D’ailleurs, le jour où un Klimt a été attaqué, le musée de Vienne était en accès gratuit grâce au mécénat du groupe pétrolier autrichien OMV. Curieux, qu’il n’est pas été plus prudent.

Sept jours plus tard, le secrétariat international de l’ICOM a voulu rattraper le coup : « L’ICOM souhaite reconnaître et partager à la fois les préoccupations exprimées par les musées concernant la sécurité des collections et les préoccupations des activistes climatiques […]. L’ICOM souhaite que les musées soient considérés comme des alliés face à la menace commune du changement climatique. » Cette volonté de dialogue sera-t-elle entendue par les directeurs de musées et… les militants ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : Efficacité de militants écologistes, maladresse de musées

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