Droit de réponse de Christine Shimizu - Conservatrice en chef, directrice du Musée Cernuschi

Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2012 - 873 mots

À la suite de l’article « Un faux au Musée Cernuschi ? » paru à l’occasion de l’exposition « Du fleuve Rouge au Mékong, visions du Vietnam » actuellement présentée au Musée Cernuschi, musée des arts de l’Asie de la Ville de Paris, nous avons reçu le droit de réponse suivant.

Mme Turolla-Tardieu et M. Hubert affirment que le tableau Hanoï est un faux. À ce jour, Mme Turolla-Tardieu, qui se déclare en mesure « de donner les raisons stylistiques et esthétiques de [s]on opinion », n’en fait pas état dans la lettre qu’à ma demande elle a adressée officiellement au musée, lettre transmise à la direction des affaires juridiques de la Ville de Paris, laquelle lui a demandé des précisions qu’elle n’a pas fournies à ce jour. En effet, ce sont des accusations sérieuses qui demandent à être étayées et prouvées.

Selon les informations dont le musée dispose et les recherches scientifiques que nous avons effectuées, ce tableau a été réalisé par Victor Tardieu en 1922, peu de temps après son arrivée au Vietnam. Le nettoyage de l’œuvre fait apparaître que la signature est de la même pâte que la peinture, comme en témoigne le rapport de restauration, ce qui n’est pas le cas pour d’autres œuvres de l’artiste dont certaines ont été authentifiées par un cachet reproduisant sa signature. Le format de la toile (77,5 x 54,8 cm) correspond à celui d’autres œuvres telles que Paysanne au fléau (80 x 64,5 cm) qui fait partie des Études pour Hanoï, document figurant dans les archives du Fonds Tardieu déposé par Mme Turolla-Tardieu à l’Institut national d’histoire de l’art à Paris.

Concernant la couleur, la peinture est dominée non par du marron, comme l’écrit M. Éric Tariant, mais par des couleurs parme, violet, ponctuées de couleurs vives – jaune, rose, vert acide et bleu turquoise. Ces couleurs spécifiques de l’artiste sont soulignées par Gérald Schurr dans son ouvrage Les Petits Maîtres de la peinture : « Ce sentiment gauguinesque est encore confirmé par la polychromie de ces toiles aux dominantes verte et rose » (Éditions de l’Amateur, Paris, 1975, p. 65) et par le poète Jean Tardieu, fils de Victor Tardieu et père d’Alix Turolla-Tardieu, dans une lettre du 23 décembre 1927 à Jacques Heurgon : « La couleur évolue dans des violets sombres étonnants, avec par-ci par-là des taches de soleil, et tout à coup un vert acide. » (Lettres de Hanoï, éditions Des femmes, Hanoï, 2006, p. 80).

Par ailleurs, je ne m’étendrai pas sur la prétendue absence de contacts entre Mme Turolla-Tardieu et le musée. Des mails et des échanges téléphoniques attestent du contraire, et ce bien avant le jour du vernissage.

Pour répondre aux accusations calomnieuses de M. Jean-François Hubert, il est habituel pour les musées, dans le cadre d’expositions temporaires, de faire appel pour tout ou partie à des collectionneurs privés, sans que cela n’ait jamais été désigné ou considéré comme du « blanchiment culturel ». L’exposition – le choix ayant été fait de privilégier les emprunts exclusivement en région parisienne, pour des raisons budgétaires – a été réalisée à partir d’œuvres appartenant à quatre institutions publiques parisiennes (le Musée du quai Branly, le Musée des Années 30, le Fonds national d’art contemporain et le Musée Cernuschi) et à six prêteurs privés parisiens (et non un seul) qui, par discrétion et mesure de sécurité, n’ont pas souhaité que leur nom soit apposé sur les cartels.
Mme Turolla-Tardieu ne s’est jamais manifestée durant la préparation de l’exposition et n’a jamais proposé de prêter un tableau de son grand-père. Elle vit d’ailleurs en Italie et il lui reste peu de toiles, comme elle le précise elle-même dans une lettre au directeur de l’École des beaux-arts d’Hanoï du 19 décembre 2001 (archives Tardieu, Institut national d’histoire de l’art [INHA]).

Je tiens aussi à souligner que Loan de Fontbrune, qui a assuré le commissariat de l’exposition à mes côtés, a pris soin, dans l’article qu’elle a consacré à « Victor Tardieu et ses élèves », de citer très explicitement ses sources (lettres et rapports de Victor Tardieu déposés au Fonds Tardieu à l’INHA à Paris). Son article comprend trente-trois notes dont sept sont établies à partir des documents conservés dans le Fonds Tardieu : il reprend un ensemble de citations tirées du même fonds.

Enfin, pour quelles raisons la petite huile Entrée des tombeaux à Hué, qualifiée dans votre article de « jolie », est-elle la seule œuvre trouvant grâce aux yeux de Messieurs Tariant et Hubert ? Serait-ce parce que cette œuvre a été récemment vendue par Mme Turolla-Tardieu ?

M. Jean-François Hubert, « spécialiste mondial de la peinture vietnamienne » autoproclamé, n’a pas été consulté sur cette exposition. Il s’en est plaint dès le mois de mars dernier auprès du Maire de Paris, tout en m’adressant dans le même temps, un mail dans lequel il m’annonçait qu’il « veillera[it] particulièrement à ce que cette exposition ne soit pas celle des copains et des coquins ».

Nous pouvons donc légitimement nous interroger sur les motivations de ses accusations, dont chacun peut constater qu’elles ne sont fondées sur aucune précision scientifique. Nous laissons à vos lecteurs le soin de trancher en venant voir l’exposition qui dure jusqu’au 27 janvier 2013.

Christine Shimizu
 

L’auteur de l’article a cherché à joindre à plusieurs reprises les deux commissaires de l’exposition, dont la directrice du musée, qui m’a finalement contacté une heure avant le bouclage du JdA, permettant in extremis la publication du point de vue du musée. Mme Alix Turolla-Tardieu, titulaire du droit moral sur l’œuvre de Victor Tardieu, a collaboré à de nombreux travaux scientifiques sur l’art vietnamien en général et sur l’œuvre de son grand-père en particulier, notamment à un catalogue édité en 1998 par Paris Musées. Présente lors du vernissage, elle a informé Mme Shimizu de ses doutes sur le tableau par courriel le 21 septembre (Mme Shimizu en a accusé réception le 26), puis par courrier à la direction des affaires juridiques (DAJ) de la Ville de Paris le 24 septembre, qui ne lui a répondu que vingt-deux jours plus tard, soit le 17 octobre 2012. Mme Tardieu a fait parvenir à la DAJ le 23 octobre 2012 puis le 6 novembre 2012 un courrier complétant ses arguments sur l’impossibilité que le tableau incriminé soit de la main de Victor Tardieu. Jean-François Hubert est le seul expert agréé en arts du Vietnam auprès de l’UFE (Union française des experts) depuis 1989 et la CNE (Compagnie nationale de experts) depuis 1997. Il a été le commissaire et auteur du catalogue de trois expositions sur l’art du Vietnam, et a été sollicité en 2004 par le tribunal de grande instance de Beauvais afin d’authentifier un tableau de Victor Tardieu. C’est d’ailleurs en raison de ces compétences qu’il a été sollicité par la commissaire invitée, Mme Loan de Fontbrune, pour participer à l’exposition du Musée Cernuschi avant de refuser en raison de la qualité de ladite exposition. Le Journal des Arts cherche uniquement à établir la vérité des faits dans l’intérêt de ses lecteurs, qui sont en droit de connaître, par exemple, le nombre d’œuvres exposées appartenant à la commissaire associée et son conjoint.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : Droit de réponse de Christine Shimizu - Conservatrice en chef, directrice du Musée Cernuschi

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