« Brexit », la responsabilité d’un artiste

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 11 mai 2016 - 581 mots

« What is lost is lost forever. » [« Ce qui est perdu, l’est pour toujours. »] Wolfgang Tillmans l’affirme sur l’une des 25 affiches (1) qu’il vient de créer pour convaincre la jeunesse britannique de ne pas louper le coche : leur inscription sur les listes électorales avant le 7 juin afin d’avoir la possibilité de dire non au « Brexit » – la sortie du Royaume-Uni de l’Europe – lors du référendum qui aura lieu seize jours plus tard.

« Je veux m’engager et faire activement campagne. » Le photographe, né en Allemagne mais vivant entre Londres et Berlin, lauréat du Turner Prize et membre de la Royal Academy of Arts, est l’un des rares artistes à s’investir dans ce débat.

Tillmans ose ainsi afficher sa responsabilité au moment où les Beaux-Arts de Paris organisaient, les 27 et 28 avril derniers, un colloque sur « L’irRESPONSABILITE de l’Artiste », un titre jouant avec la typographie, parce que le directeur de l’École et artiste lui-même, Jean-Marc Bustamante, préfère poser avec un peu de légèreté les questions sérieuses, et parce qu’il croit que « l’artiste est à la fois responsable et irresponsable, qu’il ne doit ni revendiquer un statut d’exception ni subir de discrimination ». Le public était loin de l’époque où les artistes étaient appelés à exercer leur « responsabilité sociale », à être des artistes militants, loin aussi de la polémique, des années 1990, sur l’art contemporain à l’heure où [le conservateur et historien de l’art] Jean Clair s’emportait contre l’impunité des avant-gardes. La mondialisation, la multiplication des fondations privées, l’attrait du marché et la menace d’instrumentalisation de l’art posent cette question différemment, sans que des réponses y aient été apportées durant ces échanges.

« Activisme clownesque »
« L’artiste n’est pas responsable de la société dans laquelle il opère », a rappelé Jean-Marc Bustamante. Si plusieurs s’engagent aux côtés des migrants, un constat réaliste l’a emporté : l’artiste n’a pas le pouvoir de changer le cours de l’Histoire, les camps de Calais et d’ailleurs n’ont pas disparu. L’artiste crée des images qui changent seulement le regard que nous portons sur ce monde. Certaines initiatives sont même vitupérées, lorsque l’artiste cherche avant tout à exploiter l’actualité à son avantage. Lors de ces journées encore, le peintre Luc Tuymans ne mâcha pas ses mots, parlant d’« activisme clownesque », de « diarrhée verbale et mentale ». Il invita l’artiste à être « très prudent, très subtil », soulignant combien la démultiplication des images pouvait banaliser l’horreur. Le politologue Alexandre Kazerouni mit en garde contre l’image culturelle affichée par les pays du Golfe : « La libéralisation culturelle n’y est pas porteuse d’une liberté politique. » La répression du soulèvement au royaume de Bahreïn n’a en effet pas eu d’écho dans les Biennales d’Istanbul ou de Sharjah.

Ce sont avant tout les actes récents de vandalisme, de censure qui ont incité les Beaux-Arts de Paris à organiser ce colloque. On parla donc longuement d’Anish Kapoor tagué à Versailles, de Paul McCarthy dégonflé place Vendôme, en oubliant parfois que certains pouvaient se borner à provoquer pour provoquer, pour la joie de leurs commanditaires babas et bobos. Alors que d’autres artistes assument leur responsabilité première : celle de leur propre travail, sans éviter une responsabilité éthique et citoyenne. Regardons les affiches de Wolfgang Tillmans : c’est assurément « du Tillmans », mais il a su trouver avec intelligence son expression d’artiste entre engagement et responsabilité. Il aurait dû participer à ce colloque.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°457 du 13 mai 2016, avec le titre suivant : « Brexit », la responsabilité d’un artiste

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