Musique

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Vincent Segal : « Je prends rendez-vous avec une toile, comme pour une séance de cinéma »

Par Laure Albernhe · L'ŒIL

Le 22 janvier 2020 - 704 mots

Chaque mois, Laure Albernhe, l’animatrice des Matins Jazz sur les ondes de TSF JAZZ, rencontre un musicien inspiré par les arts visuels.

Si Vincent Segal a suivi une solide formation classique, il s’est vite tourné vers des styles musicaux très divers, du jazz au contemporain, en passant par la chanson, les musiques extra-européennes et le hip-hop qui, au milieu des années 1980, l’a mis au contact de la peinture… Le violoncelliste en a gardé un goût dont l’éclectisme n’a d’égal que la variété de ses talents.

Quelle place la peinture tient-elle dans votre vie ?

Elle m’accompagne dans la pièce où je travaille mon violoncelle à Paris, huit heures par jour : il y a des peintures au mur que je regarde en jouant. Parmi elles, j’ai un portrait de Damien Cabanes, un peintre de ma génération, qui a connu dans les années 1980-1990 le squat culturel de L’Hôpital éphémère, aux portes de Montmartre. Il peint très vite, ce qui le rapproche des musiciens de jazz ou de hip-hop. J’aime beaucoup les allers-retours qu’il pratique entre le présent et le passé. À la manière des maîtres classiques, il mêle une apparente simplicité avec des énigmes, dans lesquelles j’aime me plonger en jouant. De l’autre côté de l’atelier, j’ai un tableau qui en est le contraire artistique, de l’artiste marseillais Arnaud Vasseux : c’est une expérience chimique à partir d’une goutte d’encre qui se reproduit en fractales à l’infini, laissant parler la nature. Cet univers artistique me permet de fixer mon regard sur le temps qui défile.

Fréquentez-vous les musées ?

Énormément ! En ce moment, je vais dès que je peux à Orsay pour y voir le legs du couple Marcie-Rivière qui a donné ses Bonnard et ses Vuillard. L’éclairage est habile, on a l’impression d’être chez quelqu’un. Il y a trois tableaux de Vuillard que j’aime particulièrement, dont La Soirée musicale : on sent que la scène s’y passe ailleurs qu’au premier plan, autour du piano.

Retournez-vous dans les musées pour voir des tableaux en particulier ?

Oui, je prends rendez-vous avec une toile, comme pour une séance de cinéma. Je suis allé à l’exposition du Greco, je voulais voir une toile en particulier, mais il y avait trop de monde. C’est ma limite. Si je suis en tournée, je regarde quel tableau je peux aller voir. J’ai lu qu’au Musée du Louvre, au XIXe siècle, il y avait des centaines de tableaux posés au sol, qu’on pouvait toucher, manipuler. Je regrette que cela n’existe plus.

Que vous apporte cette fréquentation régulière des œuvres ?

J’aime les histoires qu’il y a derrière. Par exemple, j’adore que Delacroix ait mis de la lumière dans sa Pietà de l’église Saint-Denys-du-Saint-Sacrement, rue de Turenne, à Paris, en jouant avec les contraintes d’un endroit si faiblement éclairé. Dans un autre style, j’ai chez moi l’œuvre d’un copain graffeur, dont je sais qu’au moment où il l’a peinte, il a manqué de peinture. C’est donc un geste d’économie qui a déclenché un geste esthétique. J’aime connaître ces histoires, mais je ne cherche pas à percer le mystère de la technique.

Avez-vous pensé vous mettre vous-même à la peinture ?

Il y a peu, j’ai pensé à m’acheter une boîte de couleurs, pour faire comme Schönberg, qui était un peintre admirable et qui se laissait plus aller dans sa peinture que dans sa musique… Mais je crois que je n’irai pas jusqu’au bout. Je n’ai pas beaucoup de talent pour ça. Dans les années 1980, quand j’accompagnais des graffeurs dans les tunnels, j’ai essayé de faire des choses, mais c’était nul. Il existe un livre où on peut voir, caché, un de mes graffs, signé Cello ! Je préfère admirer les autres, j’ai toujours du goût pour le graff, qui est une expression individuelle. Il y a un artiste que j’aime par-dessus tout, c’est A-One, qui était proche de Basquiat à New York, mais moins commercial. Il a fait des tableaux magnifiques qui, il y a plus de trente ans, disaient déjà tout du monde d’aujourd’hui. Il y a dans ses toiles une vibration musicale, comme chez Paul Klee : suffisamment d’air pour que ça respire, du développement, un rapport aux couleurs de l’ordre d’un accord de Charles Mingus.

À retrouver
Laure Albernhe et Mathieu Beaudou dans les Matins Jazz, du lundi au vendredi, de 6 h à 9 h 30 sur TSF JAZZ, la radio 100 % jazz. www.tsfjazz.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°731 du 1 février 2020, avec le titre suivant : Vincent Segal : « Je prends rendez-vous avec une toile, comme pour une séance de cinéma »

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