Livre

Vincent Bioulès : « Ma peinture n’arrive pas à me faire oublier la souffrance qui m’entoure »

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 12 mai 2020 - 771 mots

Après sa grande rétrospective au Musée Fabre en 2019, le peintre publie son Journal de 1972 à 2018, un très beau texte sur « Dieu, les autres, les femmes, la peinture, la vie enfin… ».

Le 19 décembre 1972, vous écrivez dans votre journal vouloir « écrire un livre de météo ». De quoi s’agit-il ?

J’ai commencé mon journal avant mes 18 ans [Vincent Bioulès est né le 5 mars 1938 à Montpellier]. Mais ce que j’ai écrit entre les années 1950 et 1972 ne concerne pas directement la peinture. C’est pourquoi, avec l’éditeur Pierre Manuel [qui préface l’ouvrage], nous avons décidé d’ouvrir cette édition au moment où je prends place dans l’univers de la peinture. En 1972, je veux écrire un « livre de météo » parce que c’est le moment où je retourne vers le paysage. Rien ne m’enchante alors davantage que de retranscrire dans des croquis et des aquarelles les changements du temps.

Quelle est la place de l’écriture de votre journal dans votre quotidien ?

Je n’entretiens pas de rituel quotidien autour de mon journal, que je n’ai d’ailleurs pas toujours tenu régulièrement. J’ai décidé de m’y tenir désormais davantage. Le livre qui paraît aujourd’hui chez Méridianes retranscrit les deux tiers de mon journal. Nous avons éludé les passages intimes, familiaux ou sentimentaux, pour conserver ce qui touche mon rapport à l’art, la peinture, la musique ou ma vie spirituelle.

J’aime écrire depuis toujours : des nouvelles, des poèmes, des esquisses de romans… Il y a très peu de ratures dans mes carnets ; j’aime écrire « à la diable », comme on dit, emporté par un rythme, une musique, que je sens en moi, comme si ma plume obéissait à ma propre voix.

Quelle est la fonction de votre journal ?

J’éprouve le besoin d’écrire pour échapper aux troubles que je ressens. Je dis volontiers que je suis suffisamment angoissé pour ne pas être dépressif. J’ai besoin, si vous voulez, de me débarrasser de choses intenses, des préoccupations qui me hantent, des réflexions qui me troublent, mais aussi de mon enthousiasme devant la nature, la peinture ou la musique.

La musique est également très importante dans votre vie. Elle tient d’ailleurs une grande place dans votre Journal…

Je suis né dans une famille de musiciens. Mon père était chef de chœur et maître de chapelle dans une église de Montpellier. Ma mère jouait du violon. Il y avait une tradition musicale familiale dont j’ai d’abord voulu m’écarter. Enfant, j’avais parfois l’impression que la musique me volait mes parents. C’est pourquoi j’ai voulu m’en éloigner en faisant de la peinture. Mais la musique m’a rattrapé depuis, à cause de l’amour que je lui porte. Ma femme est d’ailleurs, elle aussi, musicienne.

La peinture tient évidemment une place très importante dans votre Journal. Vous parlez des peintres, de Turner, Whistler, Constable, Renoir ou Matisse, mais aussi de techniques, comme les « jus » de Monet… Ce Journal vous a-t-il aidé dans votre travail de peintre ?

Je fais beaucoup référence aux peintures que j’ai pu regarder, c’est vrai. Il faut comprendre qu’à partir de 1972, au moment où je quitte officiellement le groupe Supports/Surfaces, je me suis heurté à beaucoup de difficultés. Les institutions ont estimé pendant vingt ans que je faisais fausse route en désirant faire à nouveau de la peinture figurative. J’en ai souffert, bien sûr, mais mon désir de peindre était le plus fort. Hormis Bernard Ceysson qui a compris ce que je voulais faire, les institutions m’ont mené une vie très dure jusqu’au début des années 1990 ; elles me l’ont heureusement pardonné depuis. Aujourd’hui, je peins à ma guise, sans me soucier de ce que l’on pourra penser de mes tableaux.

Vous parlez dans votre Journal des « délices de l’enfermement dans l’atelier et dans le rêve ». Le confinement est-il plus facile à vivre pour le peintre habitué à la solitude de son atelier ?

C’est tout à fait vrai, je connais bien l’enfermement de l’atelier, même si, avec le confinement, je me sens plus isolé que d’habitude. Mes amis ne peuvent plus, par exemple, venir voir mes tableaux à l’atelier. Par ailleurs, je suis conscient de ce qui se passe autour de moi. Je sais qu’il y a beaucoup de gens malheureux et qui souffrent, et ma peinture n’arrive pas à me faire oublier la souffrance qui m’entoure.

Votre exposition qui devait ouvrir à la Galerie Marie-Hélène de La Forest Divonne à Paris le 19 mars a été naturellement reportée à la fin du confinement. Qu’allez-vous nous présenter ?

J’ai peint douze tableaux sur un même thème : les changements d’atmosphère sur l’étang de l’Or. Ces tableaux font référence aux douze mois de l’année, à la météo, justement !

Vincent Bioulès,
Méridianes, collection Quadrant, 464 p., 27 €. À paraître :
INFOS_BOLD-ITAL
Méridianes, préface de Michel Hilaire, 32 p., 10 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°734 du 1 mai 2020, avec le titre suivant : Vincent Bioulès : « Ma peinture n’arrive pas à me faire oublier la souffrance qui m’entoure »

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