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Réfugiés et artistes à la Berlinale

L’art et la politique sont les deux points forts du Festival du film de Berlin, qui présentait pour sa 66e édition plusieurs documentaires sur des créateurs, mais aussi les œuvres de plasticiens.

BERLIN - Une des spécificités du Festival international du film de Berlin, la Berlinale, est son caractère hautement politique. Après avoir célébré l’an passé la liberté d’expression, la Berlinale n’a pas fait exception lors de sa 66e édition, qui s’est tenue du 11 au 21 février. Placée sous le signe du droit au bonheur, la Berlinale comportait de nombreux documentaires et fictions consacrés aux réfugiés. Aussi c’est sans grande surprise que le jury présidé par l’actrice Meryl Streep, et auquel participait la photographe française Brigitte Lacombe, a décerné l’Ours d’or au documentaire Fuocoammare de Gianfranco Rosi, qui montre en parallèle l’arrivée de réfugiés et la vie d’un jeune garçon italien à Lampedusa.

La Berlinale se démarque également par son ouverture à l’art, en particulier à l’art contemporain. Ce qui n’est guère étonnant pour une capitale qui compte quelque 6 000 artistes visuels. Les commissaires de la section « Forum Expanded », consacrée aux films expérimentaux, sélectionnent indifféremment œuvres cinématographiques et installations vidéo. Pourtant, d’après l’artiste israélien Omer Fast, régulièrement invité à la Berlinale, l’exercice est très différent. Il sait de quoi il parle : cette année, deux de ses œuvres étaient présentées, fait assez rare. La première, Continuity, a été créée à l’occasion de la Documenta 13 de Cassel et récemment reprise dans une version augmentée au Jeu de paume à Paris (lire le JdA no 447, 11 déc. 2015). Son premier long-métrage, Remainder (2015), a aussi été sélectionné. Quel que soit le média utilisé, il aime brouiller les pistes, créer la confusion, et poursuit obsessionnellement sa quête, usant de la reconstitution d’événements. Quelle est la différence entre un film et une œuvre d’art filmique ? Au cinéma, le public est « captif », et un film nécessite un développement linéaire, un début et une fin, explique Omer Fast. Dans le cadre d’une exposition, l’artiste ne dispose que de quelques minutes pour capter l’attention de son auditoire. Selon lui, une vidéo d’art est comme un « one-night-stand », une aventure amoureuse d’une nuit, tant elle est plus rapide à produire qu’un film. Elle est également plus personnelle et individuelle. Un long-métrage est un travail collaboratif de longue haleine. Parmi les autres œuvres à découvrir à la Berlinale, figuraient Las Cuatro Esquinas del Circulo, le magnifique poème visuel de la Serbe Katarina Stankovic, tourné en partie au Mexique et dans lequel plane l’ombre de Frida Kahlo, mais aussi des œuvres de Kader Attia, de Natascha Sadr Haghighian, de Christophe Girardet ou de Clemens von Wedemeyer.

John Berger, Mapplethorpe
La Berlinale n’est pas seulement un palmarès, elle est également un gigantesque marché où films et documentaires sont à la recherche de distributeurs. C’est ainsi l’occasion de visionner en avant-première des documentaires consacrés à l’art, au patrimoine ou aux musées, à l’instar du film réalisé par Tilda Swinton et Christopher Roth, et consacré au romancier, historien de l’art et occasionnellement peintre John Berger. Deux autres documentaires se démarquaient particulièrement dans cette édition. Le premier, intitulé Mapplethorpe : Look at the Pictures, s’ouvre sur les propos de deux conservateurs, respectivement au Lacma et au Getty à Los Angeles, qui préparent deux expositions concomitantes consacrées au photographe américain, lesquelles ouvriront en mars. Mapplethorpe est connu aux États-Unis surtout en raison des controverses liées à sa production d’images pornographiques homosexuelles. Plusieurs expositions ont été fermées au public ou annulées à la fin des années 1980 et au début des années 1990. À l’aide d’archives sonores inédites du photographe, mais aussi d’entretiens menés avec des conservateurs, critiques d’art, amis et amants, voisins (parmi lesquels Brice et Helen Marden), le documentaire souhaite humaniser l’artiste. On y apprend notamment qu’il est venu par hasard à la photographie, un art considéré initialement par lui, lors de ses études artistiques, comme d’importance mineure. Très prolifique, l’artiste, décédé prématurément du sida en 1989, photographiait indifféremment fleurs, portraits et scènes pornographiques, ses trois sujets de prédilection.

Autre documentaire fascinant, celui de Kamilla Pfeffer consacré à Oda Jaune, peintre d’origine bulgare vivant à Paris. La cinéaste souhaitait cerner le processus de création de l’artiste, en la filmant en train de peindre tout en la soumettant au questionnaire de Proust. Finalement, l’artiste ne parviendra pas à peindre sous l’œil de la caméra. Ce portrait saisissant d’une peintre à la beauté fascinante et à la voix fluette d’adolescente, qui reconnaît être sortie avec regret de l’enfance, contraste vivement avec ses œuvres d’« écorchée vive » dans lequel le thème de la mort rôde en permanence. Son galeriste, Daniel Templon, reconnaît que la science d’un psychanalyste trouverait là matière à analyse.

Légende photo

Omer Fast, Remainder, 2015, extrait du film. Courtesy Tigerlily Films.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°453 du 18 mars 2016, avec le titre suivant : Réfugiés et artistes à la Berlinale

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