Microédition

L’Edition, l’esprit léger

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2012 - 801 mots

Le dernier Salon Light a mis en lumière des éditeurs alternatifs très divers regroupés sous la bannière de la microédition.

L’édition générale, et plus encore nos chers éditeurs d’art, souffrent toujours et de plus en plus, ne comptant même plus sur Noël pour faire bouger leurs stocks. Et c’est bien fâcheux, car en temps difficiles, n’est-ce pas dans les livres que l’on trouve les solutions… ? Mais il y a aussi ceux dont le stock est tel qu’ils le transportent avec eux, ou presque : ils voyagent léger. Laissant à la marge les nécessités commerciales, ils font de l’édition autrement, revendiquant l’indépendance. Une bonne quarantaine d’entre eux (1) était réunie au Palais de Tokyo pendant le week-end de la Fiac, aux côtés de deux librairies parisiennes : Daviet Thery (et ses éditions d’artistes) et section 7 Books (avec, en particulier, des publications importées), et la Bruxelloise, Théophile’s papers. Une initiative, depuis l’origine de la manifestation en 2004 du Cneai, le Centre national édition image à Chatou, qui a repris sa place dans l’actualité. Sur les tables – de simples cartons retournés – des éditeurs venus de toute l’Europe, de Suisse, des États-Unis. Ils sont placés sous la bannière de la microédition, mais il est bien difficile de leur attribuer, au-delà de cette revendication du petit, une qualification commune. Du livre au fanzine en passant par le disque, le périodique aléatoire ou régulier, le reprint, l’archive et le livre d’artiste, le catalogue d’exposition voire le catalogue raisonné, on y croise aussi bien des textes théoriques que des propositions vives d’artistes en images. C’est le point revendiqué par tous, celui d’ouvrir par leur activité des espaces nouveaux et différents, plus accessibles aux idées du moment – même esquissées –, aux attitudes et aux propositions les plus variées, les plus exploratoires. Pendant ces trois journées, paroles et échanges de toutes natures témoignaient de la vigueur d’un territoire très habité, où les artistes, éditeurs, lecteurs, graphistes croisaient leur appétit de sens, dans une très heureuse cohabitation.

Créativité garantie
Avec Mousse Magazine n° 35 en octobre, les Milanais de Mousse publishing continuent d’accompagner les catalogues monographiques au format livre d’un bimestriel consistant. C’est presque déjà du lourd, à côté d’un projet comme celui initié par l’artiste Gabriele di Matteo, lui aussi Milanais, avec ses complices et hétéronymes, E il topo, pour une première série entre 1992 et 1994, et réactivée depuis 2012 à partir du numéro 12. Le postulat du recueil d’images, de portraits photographiques et d’invitation d’artistes sur des principes graphiques économes, diffusé de manière pour le moins artisanale a vu se croiser de nombreux invités, selon un principe d’ouverture et de disponibilité partagé, et distribué sur abonnement et… au sac à dos, comme bon nombre d’autres présents. Plus loin, à l’occasion de la sortie de son n° 5, témoin d’une préoccupation actuelle, la revue Volume éditée à Paris et bilingue (français-anglais) se consacre au son dans l’art contemporain avec une maquette soignée et des articles denses, monographiques (Anderson et Cage, mais aussi Julien Discrit ou Katie Paterson) ou thématiques. Le son fait aussi l’objet d’une attention et d’une production particulières, par exemple chez les Français Les Disques en Rotin Réunis. La Suisse est riche en éditions exigeantes, avec Boabooks, le Centre d’édition contemporaine, les éditions Patrick Frey ou, avec un souci d’invention et de justesse graphique remarquables, Kodoji press qu’anime Winfried Heininger, et ses monographies finement travaillées. La France n’est pas en reste, avec près d’une quinzaine d’enseignes parmi lesquelles Éditions Incertain Sens, les Éditions P, Optical sound ou l’improbable Coooooop Fanzine 01, coédité par Jean-Max Colard et qui se revendique comme fanzine d’artiste. Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, c’est aussi l’héritage conceptuel qui est rendu précieusement accessible dans ses angles parfois les moins visibles : le reprint de Real Life magazine chez Primary Information, le Portable John Latham des excellents Occasionnal Papers conduits par Anthony Hudek tracent la continuité des pratiques éditoriales d’artistes. Il faudrait encore souligner la production associée à la recherche en école d’art en France (Adera région Rhône-Alpes, it : éditions menées par Ludovic Burel à Grenoble et son excellent catalogue d’exposition, Archives du biopouvoir, coécrit avec Philippe Artières) ou en Suisse avec les publications de la Head, l’école d’art de Genève. L’esprit d’indépendance se matérialise avec une belle ambition dans le projet de Nikola Jankovic qui porte les éditions B2. Son principe de collection d’essais très choisis à partir de questions très ouvertes liées à l’architecture constitue une sorte de chaînon manquant entre l’édition savante et l’activisme d’idées. Une douzaine de titres au catalogue, un esprit graphique cohérent et juste, et souhaitons-le, la perspective d’une installation durable : d’élisée Reclus à Béatriz Colomina, des essais de référence choisis dans un geste qui relève de l’édition comme un art.

Notes

(1) Toutes informations et liens sur le site du Salon Light #9

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°378 du 2 novembre 2012, avec le titre suivant : L’Edition, l’esprit léger

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