Catalogue

Le témoignage de Paul Jacoulet

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 21 mai 2013 - 627 mots

La première publication d’envergure sur l’univers micronésien de Paul Jacoulet en appelle à l’anthropologie pour éclairer son œuvre.

Né en 1896 à Paris, Paul Jacoulet quitte la France pour toujours à l’âge de 3 ans. Fils de professeur, il passe presque toute sa vie au Japon, où il apprend notamment la technique de la gravure sur bois traditionnelle (ukiyo-e) auprès des plus grands maîtres. Il y ouvre son propre atelier, qui lui apporte le succès commercial dans son pays d’adoption. Après sa mort, en 1960, le Japon et les États-Unis, – où ses œuvres sont diffusées pendant l’occupation du Japon par les forces américaines – exposent ses estampes et aquarelles tandis qu’il reste inconnu de son pays d’origine. Ceci jusqu’à ce que sa fille adoptive Thérèse Jacoulet Inagaki, et trois autres héritiers, n’offrent une sélection de la collection de l’artiste à la Bibliothèque nationale de France (BNF) pour une présentation au public en 2011 et surtout, n’effectuent une donation de plus de 2850 pièces au Musée du quai Branly, où vient de se terminer l’exposition consacrée à son œuvre « L’univers flottant de Paul Jacoulet ». L’occasion d’éditer sous forme de catalogue la première publication française d’envergure sur l’œuvre de l’artiste, qui n’avait jusqu’ici bénéficié que d’un article dans la revue scientifique les Nouvelles de l’estampe en 2011. Le foisonnant ouvrage rassemble une succession d’essais menés par des chercheurs internationaux. Il convoque plusieurs disciplines, dont l’anthropologie, pour expliquer et contextualiser la création du dessinateur/peintre/graveur.

La possibilité d’une île
Comme Paul Gauguin (1848-1903) dont il était un fervent admirateur, Paul Jacoulet s’est attaché à dépeindre les peuplades insulaires du Pacifique. De santé fragile depuis l’enfance et enchaîné à un gagne-pain de gratte-papier à l’ambassade française à Tokyo, Jacoulet voit dans les îles de Pohnpei, Tonoas, Yap, Angaur et autres confettis situés au nord de la Nouvelle-Guinée et des îles Salomon et placés sous administration japonaises depuis 1914, la possibilité de développer sa carrière artistique dans une « liberté totale ». De 1929 à 1935, il enchaîne les séjours dans ces contrées ressuscitant l’exotisme, loin de cet Occident exporté qui faisait partie de son quotidien tokyoïte. Refusant la distanciation du regard de l’ethnologue, sublimant de sa touche élégante les visages et les corps de ses modèles qu’il considère (sans doute avec exagération) comme « tous ses amis », il ne s’en passionne pas moins pour une restitution quasi encyclopédique des ornements traditionnels. Délaissant les costumes à l’occidentale, il immortalise de ses croquis vêtements, parures, coiffures locales – très graphiques – qui tendaient alors à disparaître, bousculés par l’action de l’administration coloniale et des missionnaires. Bien que formant une même ère culturelle depuis l’invention du dénominatif « Micronésie » par un géographe français du début du XIXe siècle, ces îles étaient jalonnées de distinctions culturelles que Manuel Rauchholzn, Sébastien Galliot et Beatriz Moral, décrivent avec précision. Ces anthropologues spécialistes de la Micronésie décodent ainsi les thèmes de prédilection de Jacoulet. Ainsi les tatouages, porteurs d’indications de hiérarchie sociale ou activateurs de pouvoirs magiques, ou le langage des fleurs, dont les couples se servaient pour se fixer des rendez-vous secrets dans un contexte de puritanisme homme-femme. Une pudeur micronésienne contredite par les quelques aquarelles érotiques de Jacoulet où les femmes apparaissent dans l’intimité d’une habitation, intégralement nues, offrant un sexe qu’il aurait été pourtant inconvenant de montrer, même à leur amant. C’est ce qu’explique le passionnant essai consacré à l’intime qui présente un monde loin de l’image idéalisée des mers du Sud, où la liberté sexuelle serait la norme et dont Jacoulet s’est fait un des derniers dessinateurs, avec le respect qui lui est unanimement reconnu.

UN ARTISTE VOYAGEUR EN MICRONESIE, l’univers flottant de Paul Jacoulet, Musée du Quai Branly et Somogy éditions d’art, Paris, 2013, 352 pages, 1180 illustrations, 49 €

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°392 du 24 mai 2013, avec le titre suivant : Le témoignage de Paul Jacoulet

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