Livre

Graphisme

L’art alternatif sort de la marge

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 28 août 2018 - 759 mots

La microédition alternative offre de découvrir les figures artistiques d’un « underground » qui ne s’est jamais aussi bien porté.

Nicolas Le Bault, <em>Psychic Candies</em>, zine édité par Stéphane Blanquet et Jessica Rispal pour Les Crocs Electriques.
Nicolas Le Bault, Psychic Candies, zine édité par Stéphane Blanquet et Jessica Rispal pour Les Crocs Electriques.
© Nicolas Le Bault / Les Crocs électriques

C’est sa première exposition monographique à Paris. Pakito Bolino ? Improbable, son nom est à peu près inconnu du grand public. Pourtant : exposé à la galerie Arts Factory, ce dessinateur, sérigraphe et vidéaste a fondé en 1993 avec Caroline Sury les éditions du Dernier Cri, devenues une référence. Vingt-cinq ans d’activité, d’activisme même, qui témoignent de l’existence d’une scène créative underground foisonnante. Autoédité depuis son atelier de la Friche de la Belle de Mai, à Marseille, le Dernier Cri a contribué à la diffusion de toute une génération d’artistes, « dans la lignée de la violence graphique de Bazooka et de Elles sont de sortie, deux graphzines qui, dans les années 1970-1980, ont renouvelé la bande dessinée et inspiré une vague alternative du punk français », explique le galeriste Laurent Zorzin.

Une production subversive
 

Pakito Bolino, série <em>Sadobaka xxl</em>, 2017-2018.
Pakito Bolino, série Sadobaka xxl, 2017-2018.
© Galerie Arts Factory.

Cette scène underground, exhumée par l’exposition « L’esprit français » à la Maison rouge au printemps 2017, a explosé ces dernières années avec la banalisation de la sérigraphie et de l’impression en risographie. Sites Internet (comme graphzines.net, créé par un collectionneur basé à Amiens), salons et festivals dédiés à ce phénomène de microédition se sont multipliés, parmi lesquels le Marché noir à Rennes, le Monstre Festival à Genève, ou Fanzines ! à Paris.

De l’humour potache du magazine collectif Nicole à la collection décalée « Les plus beaux mouchoirs de Paris », monotypes textiles sérigraphiés édités à trente exemplaires, en passant par les très épurés Popup faits main à tirage limité du duo Icinori (Mayumi Otero & Raphael Urwiller), l’offre est suffisamment riche et variée pour que la galerie Arts Factory lui consacre, pendant l’été, plus d’un tiers de son vaste espace sur trois niveaux.

Palette de couleurs fluo agressives, pêlemêle visuel dans lequel se télescopent des images crues et volontiers dérangeantes évoquant la sexualité, la maladie, la mort… Le Dernier Cri affiche quant à lui sa prédilection pour ce qui suinte, ce qui pue et ce qui peut choquer. Bref, tout ce qui est susceptible de « faire vomir des yeux » pour reprendre le titre d’une exposition organisée par Pakito Bolino à la Friche de la Belle de Mai… Ou de provoquer un énorme éclat de rire ! Limite ? Cette production résolument subversive ne fait pas peur à des institutions comme la bibliothèque parisienne Forney, qui met à disposition des amateurs son riche fonds de graphzines.

Comprendre : des ouvrages photocopiés, imprimés en offset, sérigraphiés, linographiés, tétragraphiés, en risographie… tirés entre dix et, plus rarement, trois cents exemplaires, avec ou sans texte, qui peuvent mélanger dessins, collages, photographies… Dans le genre, c’est sans doute le Zentralinstitut für Kunstgeschichte, à Munich, qui détient aujourd’hui la plus importante collection.

Un marché en devenir

Le marché lui-même commence à accorder de la valeur à cette scène ; les éditions historiques sont recherchées par les bibliophiles et, pour certaines, cotées – compter entre 2 500 et 3 000 euros pour les six numéros du Regard Moderne, né en 1978 de la collaboration entre Bazooka et le journal Libération. Graphique et avant-gardiste, « son traitement en images de l’actualité eut une influence considérable sur l’esthétique des années 1980, assure Laurent Zorzin.
Il a aussi donné son nom à la librairie parisienne qui, au début des années 1990, devient la plaque tournante de la scène graphique contemporaine. » C’est là, au Regard Moderne, que le dessinateur Stéphane Blanquet est invité, en 1993, à faire sa première exposition personnelle, intitulée « Exposition posthume », à laquelle fera bientôt écho la création de sa maison d’édition United Dead Artists. Revues, ouvrages collectifs et monographies… U.D.A., ce sont quelque 350 signatures publiées au fil du temps. Éditeur compulsif, Blanquet s’est d’ailleurs lancé depuis décembre 2016 dans une véritable performance : Les Crocs électriques, une sélection d’« images dessins, images photographiques, images contemporaines, images brutes, textes fictions, textes crachés, textes graffités », au rythme soutenu d’une parution tous les trois jours.

Cette intense activité éditoriale n’a pas freiné son travail d’artiste ni la reconnaissance de celui-ci. Son oeuvre, exposée partout dans le monde, est rentrée dans plusieurs collections publiques, dont la Bibliothèque nationale de France, et privées, comme celle de Jean-Claude Volot, qui présente cet été à l’abbaye d’Auberive une exposition-installation inédite de l’artiste.

Le pari de la galerie Arts Factory ? « Faire à son tour rentrer Pakito Bolino dans des grandes collections, comme celles de Bruno Decharme, Antoine de Galbert, Jean-Claude Volot ou Michel-Édouard Leclerc. » C’est peut-être le moment.

pakito bolino, sadobaka xxl

Du 31 août au 22 septembre 2018. Galerie Arts Factory, 27, rue de Charonne, Paris 11e. www.artsfactory.net

stephane bolet, par les masques écornés

jusqu'au 30 septembre 2018. Abbaye d'Auberive, 1, place de l'Abbaye, Auberive (52). abbaye-auberive.com

 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°715 du 1 septembre 2018, avec le titre suivant : L’art alternatif sort de la marge

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