Graphisme

Friche de la Belle de Mai

Quand l’art brut flirte avec l’underground

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2017 - 709 mots

C’est un hymne à l’art populaire contemporain. Une exposition kaléidoscope réunissant art brut, art outsider et microédition underground.

MARSEILLE - Cabossés, blessés mais debout. C’est une ode à la vie, pimentée d’humour et d’autodérision, que propose la Friche la Belle de Mai à Marseille avec l’exposition « Underbrut » qui marie art brut, art singulier (ou Outsider), art contemporain et créations graphiques underground. Fond jaune tournesol pour la section dédiée à la microédition underground, vert olive pour les créations marginales (art brut, art populaire et art outsider) de la Pop galerie itinérante de Pascal Saumade, et mauve pour les Singuliers du Sud.

À l’entrée de l’exposition, de truculentes affiches de cinéma imprimées sur des sacs de farine en toile de jute du Ghana voisinent avec de grands dessins poétiques et colorés de Stark Attila, un street artiste hongrois né en 1979. Sur le panneau adjacent, place aux créations d’un collectif d’artistes finlandais, fans de bande dessinée et prônant le « do it yourself ». Une fresque, qui rappelle l’univers d’Emir Kusturica, juxtapose sur un même mur, des danseurs endiablés aux côtés de personnages hirsutes tentant désespérément d’échapper à la noyade. « L’art ne vient pas se coucher dans les lits qu’on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom. Ce qu’il aime, c’est l’incognito, ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle », soulignait Jean Dubuffet en 1960.

Des pratiques instinctives et fantasmagoriques
Ces phrases du pape de l’art brut auraient pu être placées en exergue de l’exposition de la Belle de Mai. C’est un autre mot d’ordre, tout aussi évocateur, que l’on retrouve au cœur de la section consacrée aux Singuliers du Sud, ces créateurs, souvent autodidactes, qui ont tracé leur sillon en marge du marché de l’art et des grands lieux publics d’expositions. « On doit fuir la méthode, le calculé, le professionnel, le peintre doit aller vers le spontané, le mystérieux, le fantasme, le rêve, véritables langages primitifs et naturels des communications universelles », insistait Raymond Reynaud (1920-2007). Cet ancien peintre en bâtiment, admirateur de Chaissac, formé aux cours du soir de l’école d’art de Salon-de-Provence, a exécuté d’étranges mandalas d’un graphisme électrique et des sculptures faites d’objets récupérés sur les bords des routes et dans les décharges publiques. « Ce que je déteste le plus, c’est la société de consommation ! », martelait l’artiste de Sénas, présent dans l’exposition notamment à travers deux de ses chefs-d’œuvre : deux polyptyques peints à la gouache inspirés de Pagnol (Jean de Florette) et de Cervantès (Don Quichotte). Ces pièces cohabitent avec les créations résolument noires, érotiques et fantasmagoriques hallucinées de Gérard Lattier, et avec les architectures fantastiques, grouillant de figures humaines et de créatures hybrides de Jean-Pierre Nadau.

Le parcours, rythmé et aéré, agrémenté de deux documentaires diffusés sur des écrans plasma, s’achève sur une section dédiée à Manuel Ocampo, où trône une installation réalisée in situ par l’artiste Philippin.

Le dernier Cri de Pakito Bolino

C’est une figure de la Friche de la Belle de Mai et du monde de l’illustration underground. Crâne dégarni, bouille ronde souriante et sourire moqueur, Pakito Bolino, commissaire de l’exposition « Underbrut », a installé il y a plus de vingt ans son atelier de sérigraphie, le dernier Cri, à deux pas des lignes de chemin de fer de la gare Saint-Charles. Cette structure éditoriale associative indépendante, inscrite dans la mouvance du mouvement « undergraphique » français des années 1980, a publié des centaines de monographies et de livres collectifs aux formats variés et aux tirages limités (entre 100 et 1 000 exemplaires). Une forme d’expression décalée à l’interface de l’art brut, de la bande dessinée et du graphisme déviant. Des couleurs stridentes et des images virulentes auxquelles sont familiers les lecteurs de son magazine périodique Hôpital Brut, véritable « encyclopédie visuelle internationale de l’obsessionnel, de l’hallucinatoire et de l’instinctif », selon ses propres mots. Pakito Bolino organise, tous les deux mois, des expositions dans son atelier de la Friche (« Samplerman Jean Kristau Véro » jusqu’au 15 mars). Il est aussi l’organisateur du salon annuel du multiple et de la microédition « Vendetta » dont la quatrième édition s’est tenue, à la mi-décembre 2016, lors de l’inauguration et dans les salles de l’exposition Underbrut.

UNDERBRUT. ART MARGINAL CONTEMPORAIN ?

Jusqu’au 16 avril, Friche la Belle-de-Mai, Plateau 3, Tour Panorama, mardi-vendredi, 14h-19h, samedi-dimanche 13h-19h. www.lafriche.org

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : Quand l’art brut flirte avec l’underground

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