Cinéma

Degas, de grâce et de disgrâce

Par Adrien Gombeaud · L'ŒIL

Le 6 janvier 2020 - 402 mots

PARIS

3e Scène  - Après Garnier en 1875 et Bastille en 1989, l’Opéra de Paris a ouvert en 2015 une « troisième scène » sur Internet.

Michael Lonsdale interprète Edgar Degas. © Photo Xavier Lambours.
Michael Lonsdale interprète Edgar Degas.
© Photo Xavier Lambours.

Dans cet espace virtuel, l’institution invite cinéastes et artistes au bal des nouvelles technologies. Depuis cinq ans, la « troisième scène » a accueilli Claude Lévêque, Apichatpong Weerasethakul, Bret Easton Ellis et Clément Cogitore. Dans ce nouvel épisode, Arnaud des Pallières reconstitue les derniers jours d’Edgar Degas. Degas et moi répond à l’exposition du Musée d’Orsay « Degas à l’opéra » (jusqu’au 19 janvier). Le court-métrage de des Pallières commence, comme au temps du muet, par le crachin d’un piano et un carton : « Degas était chez lui ». Une porte s’ouvre sur la silhouette épuisée de Michael Lonsdale. Baigné de teintes automnales, la pellicule 8 millimètres tressaute au rythme de la manivelle actionnée par l’opérateur. Un peu délavée, prête à craquer, l’image flotte tel un papillon face à l’ampoule. Barbe épaisse et corps voûté, Degas évolue dans le décor d’un appartement d’aujourd’hui. Est-il déjà un fantôme ? « C’est fini la vie », annonce le carton. Degas s’allonge… et soudain le film devient sonore, puis parlant. Le peintre se souvient de sa jeunesse, de ces heures passées à observer les danseuses de l’opéra. Bastien Vivès incarne l’artiste à l’orée de sa carrière. La caméra se fait fluide, pivote autour des filles, esquive les contre-jours. Le film accélère au rythme d’une sonate de Schubert. La main de l’artiste suit les ballerines, la mise en scène épouse la course du fusain, la légèreté poudrée du pastel sur le papier. Degas, d’une voix sourde, évoque son travail : « Rien en art ne doit ressembler à un accident. Même le mouvement. » Le timbre usé du vieux virtuose contraste avec la vivacité des corps. Puis l’image ralentit. L’artiste a dompté les formes fugitives, capté la fluidité des gestes dans la lumière dorée… Alors le film se retourne. La triste voix d’une jeune fille évoque sa rencontre avec Degas, dont elle fut un modèle violemment répudié. Le texte est tiré du témoignage d’Alice Michel, Degas et son modèle. L’artiste y est décrit comme un ogre, un antisémite, une brute sans cœur. En vingt minutes, Degas et moi relate ainsi l’immonde et la beauté. Les destins d’artistes sont comme les autres destins, un tissage de contradictions, grandeur, médiocrité, laideur, beauté… et puis, « c’est fini la vie ». Degas, décati, emporte sa disgrâce au mausolée pour laisser à la postérité la jeunesse de ses ballerines.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : Degas, de grâce et de disgrâce

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