Mécénat

Comment les Rothschild ont enrichi les musées français

Par Carole Blumenfeld · Le Journal des Arts

Le 23 novembre 2016 - 1334 mots

100 000 objets sont entrés dans les collections publiques françaises en 150 ans grâce au mécénat des Rothschild. Une saga familiale qui se conjugue avec un patriotisme très engagé.

Les pipes et les boîtes d’allumettes données par Alice de Rothschild (1847-1922) à la bibliothèque de Grasse, les costumes rares offerts par Edmond James de Rothschild (1845-1934) au Musée Carnavalet et au Musée des arts décoratifs, le don de têtes de mort au Musée des arts décoratifs d’Henri de Rothschild (1872-1946) : autant d’essais dans l’ouvrage publié sous la direction de Pauline Prevost-Marcilhacy, Les Rothschild Une dynastie de mécènes en France, qui approfondit et renouvelle un sujet que tout le public averti des musées et des bibliothèques semblaient bien connaître. Au-delà des œuvres phares offertes, léguées ou entrées en dation dans les collections publiques françaises, la famille a poursuivi pendant un siècle et demi un travail d’accompagnement des musées et bibliothèques français beaucoup plus complexe et subtil – discret souvent aussi –, qui recouvre toutes les périodes de l’histoire de l’art et toutes les techniques.

Les fondateurs de la branche française des Rothschild, James de Rothschild (1792-1868) et sa nièce et épouse Betty (1805-1886) se distinguèrent par leur philanthropie auprès des hôpitaux, maisons de retraite et orphelinats. James, dont Balzac fit son baron de Nucingen de Splendeurs et misères des courtisanes, était le bâtisseur du château de  Ferrières et un amateur avisé, mais ce sont ses enfants, Charlotte, Mayer Alphonse, Gustave, Salomon James et Édmond James, qui commencèrent à apporter leur soutien au travail des conservateurs des musées français après la défaite de Sedan, période marquée par une montée de l’antisémitisme.

Des missionnaires de la culture

La figure la plus emblématique reste celle du cadet, Edmond James. Outre le financement des fouilles archéologiques à Milet et Didymes, dont le produit fut offert au Louvre ou encore l’acquisition en 1895 du trésor de Boscoreale pour l’offrir au musée, il consacra six décennies à la réunion de 80 000 dessins et gravures destinés au « musée de la gravure » qu’il laissa au Louvre à sa mort. De son côté, son frère aîné  Alphonse de Rothschild (1827-1905) pratiquait un mécénant plus discret en séparant bien ses propres activités de collectionneur et celles de bienfaiteur des musées, même si ponctuellement celles-ci se rejoignaient. De 1885, date de son élection à l’Académie des beaux-arts à 1905, il acquit 2 000 œuvres contemporaines envoyées à 529 musées de province selon un recensement inédit de Pauline Prevost-Marcilhacy. Sa démarche était unique, car il n’y avait « pas de phase intermédiaire entre l’acquisition et le don à un musée. » Il épousait ainsi pleinement la volonté décentralisatrice de la IIIe République, en se substituant à l’État et surtout, il s’agissait « moins de composer une galerie de gloires locales que de former le goût des contemporains et de favoriser, loin de Paris, l’éclosion de foyers culturels et artistiques », comme l’explique la spécialiste.

Dans le testament d’Alphonse de Rothschild figurait justement une phrase célèbre : « L’union a été de tout temps notre force et notre grandeur », or celle-ci s’est pleinement manifestée à travers cette continuité philanthropique. Souvent d’ailleurs, « ils ont donné à la France, mais avec le désir que ne fussent pas brisés les liens invisibles qu’ils avaient tissés entre chacun d’eux et ses frères de collection » (Maurice Pourchet, La Nef, février 1950, BnF). Parmi les 100 000 objets offerts, nombre d’entre eux proviennent ainsi de collections réunies par plusieurs générations de Rothschild, voire sont issus de plusieurs rameaux de la famille, comme le legs de l’hôtel de la rue Berryer par la baronne Adèle de Rothschild en 1922, où se trouvaient les œuvres de son grand-père, Carl Mayer, fondateur de la branche de Naples, de son père, Mayer Carl, installé à Francfort et de son époux, Salomon, fils de James et de Betty.

L’histoire du mécénat Rothschild se confond aussi avec une histoire de leurs liens avec les conservateurs français. La fille de James et Betty, Charlotte, baronne Nathaniel de Rothschild, réunit la collection de primitifs italiens entrée au Musée du Louvre en 1899 sur les conseils du célèbre conservateur Georges Lafenestre. Les dons d’Alix de Rothschild sont le fruit de ses relations avec la Société des amis du Musée de l’homme et Jean Cassou, directeur du Musée d’art moderne. Après la Seconde Guerre mondiale, divers membres de la famille remercièrent également les musées et la Bibliothèque nationale pour leur engagement et leur extrême vigilance durant la période en offrant notamment Les Très belles Heures de Jean de Berry (Paris, BNF), La Marquise Doria de Van Dyck, La Buveuse de Pieter de Hooch, Le Repos pendant la fuite en Égypte de Memling ou L’Amitié sous les traits de Madame de Pompadour de Pigalle (Paris, Musée du Louvre).

Si le patronyme Rothschild s’accorde souvent au pluriel, à travers les dons, chacun des membres de cette famille a affirmé sa sensibilité, sa curiosité et son goût tout en partageant un même engagement pour la France. Dans une conférence prononcée en 1933 à la Bibliothèque nationale à laquelle il offrit sa collection d’autographes, Henri de Rothschild résumait finalement cette suprématie des intérêts de l’État à laquelle les siens sont tant attachés depuis un siècle et demi : « J’estimais en effet que si du fait d’être né sous une bonne étoile, j’avais pu réunir au cours de ma vie tant de documents précieux j’avais l’obligation, le devoir de leur assurer un avenir sans risques, un abri définitif. Un ensemble d’une telle valeur est à mes yeux un bien national (…) ».

Huit dates clés du mécénat des Rothschild

1873 Edmond James et Gustave de Rothschild offrent au Musée du Louvre les marbres antiques trouvés à Millet par l’archéologue Olivier Rayet, dont ils avaient financé les fouilles

1886 Donation de la collection d’art juif Isaac Strauss au Musée de Cluny par Charlotte de Rothschild

1895 Don du trésor de Boscoreale au Musée du Louvre par Edmond James de Rothschild

1922 Legs d’Adèle de Rothschild des collections de son hôtel de la rue Berryer à l’État pour en faire une « maison d’art », la Fondation Salomon de Rothschild

1934 Legs de la « Villa Île-de-France » à Saint-Jean-Cap Ferrat par Béatrice Ephrussi de Rothschild à l’Institut de France

1935 Donation du « musée de la gravure » d’Edmond-James de Rothschild par ses trois enfants au Musée du Louvre

1947 Legs de la collection d’autographes d’Henri de Rothschild à la Bibliothèque nationale

1976 Don du château de Ferrières à la chancellerie des Universités de Paris, radiée à l’amiable et substituée par une donation à la commune de Ferrières-en-Brie en 2012

Une publication hors norme

Les trois volumes coédités par les éditions Somogy, le Musée du Louvre et la BnF, soit un total de 1 112 pages et 1 200 illustrations, représentent un projet particulièrement novateur. Le parti pris de suivre l’ordre des donations et de replacer chacune d’elles dans un contexte plus général de l’histoire des collections publiques, mais aussi de donner chair à toutes ces figures de donateurs grâce à des biographies développées, offre une multitude d’entrées et de clés de lecture. Derrière ces beaux livres plaisants à consulter, se cachent des années de travail dans les archives françaises, anglaises et russes. En 1992 en effet, Pauline Prevost-Marcilhacy identifia dans un dépôt de Moscou un fonds inédit de la branche française des Rothschild contenant la correspondance d’Edmond James avec les marchands, fonds qui avait été pris par les nazis, puis emmené à Moscou après la guerre, et qui fut finalement rapatrié en 1994 à Londres. Parmi ces milliers de documents se trouvaient toutes les correspondances d’Edmond de Rothschild avec les marchands de dessins et d’estampes. Le projet est aussi une collaboration exceptionnelle réunissant plus d’une cinquantaine de conservateurs, de bibliothécaires et d’universitaires.

Les Rothschild. Une dynastie de mécènes en France, 2016, sous la direction de Pauline Prevost-Marcilhacy, coédition Musée du Louvre-Éditions du Louvre/BnF/Somogy éditions d’Art, Volume I : 1873-1922, Volume II : 1922-1935, Volume III : 1935-2016, prix : 290 €

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°468 du 25 novembre 2016, avec le titre suivant : Comment les Rothschild ont enrichi les musées français

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