Les Rothschild, une dynastie de mécènes

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 17 février 2017 - 725 mots

Une ébouriffante publication, servie par une coédition irréprochable, investigue en trois volumes le rôle joué par la dynastie des Rothschild auprès des institutions françaises, de 1873 à nos jours. Un rôle majeur, et parfois inattendu…

Résistant à l’urgence éditoriale, prolifèrent depuis plusieurs années des monographies conséquentes (Tintoret chez Hazan, Masaccio chez Actes Sud), d’épais catalogues raisonnés (George Desvallières chez Somogy, Ernest Pignon-Ernest chez Gallimard) ou de remarquables inventaires de collections muséales (Catalogue des peintures françaises du Musée Calvet chez Silvana Éditoriale, Catalogue des sculptures de Jules Dalou conservées au Petit Palais chez Paris-Musées). Coédité par le Musée du Louvre, la BnF et Somogy Éditions d’art, le présent ouvrage s’inscrit dans cette salutaire résistance du livre scientifique. Fruit de la collaboration de nombreux spécialistes, cette vaste partition symphonique est orchestrée par Pauline Prevost-Marcilhacy, dont le propos liminaires peut valoir avertissement : « L’importance de ces donateurs exceptionnels que furent les Rothschild n’est pas seulement quantitative ; elle tient également au rôle que les différents membres de la famille ont joué au sein du marché international de l’art et au réseau artistique qu’ils ont tissé autour d’eux. »

Ampleur
Cette publication monumentale est composée de trois volumes reliés, d’environ trois cent cinquante pages chacun, réunis dans un coffret cartonné. L’ensemble est séquencé chronologiquement : le premier volume couvre la période 1873-1922, la date inaugurale correspondant au don de marbres antiques effectué par Edmond James et Gustave de Rothschild au Musée du Louvre ; le deuxième étudie les années 1922-1935, marquées notamment par le legs de Béatrice Ephrussi de Rothschild de sa prestigieuse demeure à l’Institut de France, en 1934 ; le troisième est consacré aux années 1935-2016, avec le don notoire du château de Ferrières à la chancellerie des Universités de Paris en 1976.

Si la couverture de chaque volume accueille un chef-d’œuvre des anciennes collections Rothschild – respectivement Master Hare (1788) de Joshua Reynolds, Daphné de Wenzel Jamnitzer (vers 1569-1576) et Le Chansonnier de Jean de Montchenu (vers 1475) –, ces illustrations sont tronquées pour deux d’entre elles et, pire, tranchent sur un morne fond bleu où se devinent, en filigrane, les armoiries familiales ainsi que l’éloquente devise dynastique : Concordia, Integritas, Industria (union, honnêteté et travail). Un choix disgracieux – ce sera le seul.

Polysémie
Une caryatide du IIe siècle issue du théâtre de Milet, une lettre de François Rabelais à Guillaume Budé, une Vierge à l’Enfant de Domenico Ghirlandaio (1475-1480), une eau-forte de Rembrandt (Autoportrait faisant la moue, 1630), un casque à camail et porte-aigrettes indien du XVIIIe siècle, un pendule au sanglier en faïence de Strasbourg (vers 1750-1760), La Prière (1889) de Camille Claudel : l’étendue des libéralités consenties par les Rothschild est stupéfiante et rares sont les domaines et périodes inexplorés par leur munificence.

Puisqu’il était impossible, par nature, d’abriter dans un livre l’inventaire exhaustif des 120 000 œuvres d’art offertes par les Rothschild aux institutions hexagonales, de 1873 à nos jours, cinquante-trois contributions, confiées à des conservateurs, bibliothécaires et universitaires, dressent une générosité aussi prodigieuse que polysémique, que l’on veuille ici songer à deux legs exceptionnels, l’un de livres, consenti par Henri de Rothschild à la Bibliothèque nationale en 1947, et l’autre de tableaux de la Renaissance italienne, effectué en 1899 par Charlotte de Rothschild en faveur du Musée du Louvre.

Kaléidoscope
Servi par une photogravure parfaite, jouissant d’annexes opportunes (une bibliographie de référence, un index des lieux de conservation et un index onomastique sur 47 pages), cet ouvrage, né d’une subtile mutualisation des savoirs, dessine une véritable histoire du goût – un goût rarement pris en défaut – et rappelle combien les musées français sont tributaires de leurs mécènes. Sans la générosité des Rothschild, la face des musées Carnavalet, du Louvre, de Cluny ou des Arts décoratifs aurait assurément changé : la démonstration est ici implacable.

Par ailleurs, si elle confirme un grand discernement concernant les œuvres des XVIe et XVIIIe siècles, cette publication offre des révélations cardinales, tels ces objets subsahariens offerts par Alice de Rothschild au Musée de l’homme et ces pièces de César, Yolande Fièvre et François Stahly données en 1980 au Centre Pompidou par Élie de Rothschild, lequel arpenta l’art contemporain avec le galeriste Daniel Cordier pour Cicérone.

Océanique, ce kaléidoscope de la prodigalité méritait un instrument de navigation : l’Inha dédie désormais aux collections des Rothschild un portail susceptible, à terme, de recenser toutes les œuvres qui, hébergées par quelque deux cents institutions françaises, jouissent de ce pedigree majuscule.

Pauline Prevost-Marcilhacy [dir.], Les Rothschild. Une dynastie de mécènes en France, Musée du Louvre-Éditions du Louvre, la BnF et Somogy Éditions d’art, 3 volumes (328 p., 392 p. et 392 p.), 1 200 ill., 290 €.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°699 du 1 mars 2017, avec le titre suivant : Les Rothschild, une dynastie de mécènes

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