Ventes publiques - Ces records qui cachent la forêt

L'ŒIL

Le 22 janvier 2013 - 882 mots

L’année 2012 s’est soldée par une pluie de records au sein des maisons de ventes qui dissimule une réalité bien plus contrastée.

Plus d’un milliard de dollars d’enchères obtenues dans les ventes d’art moderne et contemporain chez Christie’s et Sotheby’s à New York à l’automne dernier : les collectionneurs engagent des sommes de plus en plus extravagantes pour acquérir l’objet désiré. La puissance médiatique des multinationales de l’art entretient ces folles surenchères [lire ci-contre]. Celles-ci n’hésitent pas à monter de véritables road shows à travers le monde pour exhiber les œuvres phares qui passeront bientôt en vente à New York, Londres ou Paris, à investir dans des catalogues luxueux valorisant leurs pièces maîtresses et, surtout, à communiquer sur leurs prouesses commerciales par voie de communiqués de presse. Si bien que l’art semble être devenu un signe extérieur de richesse qui n’a pas de prix et une valeur refuge.
 
« Ces personnes aiment-elles regarder de l’art ? »
C’est à se demander jusqu’où ces amateurs aisés sont prêts à surenchérir. Une certitude : le nombre de collectionneurs ne cesse de croître. Avec l’arrivée sur le marché de nouveaux riches venus de Chine, de Russie, d’Inde, du Brésil, des émirats du Golfe, la demande excède l’offre. Cette élite se rue sur les ventes publiques, à New York, Londres, Paris ou Hong Kong. À tel point que, fin 2011, le publicitaire Charles Saatchi, lui-même collectionneur et galeriste, s’interrogeait dans les colonnes du Guardian : « Est-ce que ces personnes aiment regarder de l’art ? Ou alors est-ce qu’elles aiment simplement avoir des tableaux reconnaissables, achetés de manière ostensible dans les maisons de ventes à des prix fous ? » plus l’enchère est haute, plus la position sociale de l’acquéreur est enviée…

Parallèlement, nombre d’hommes d’affaires fortunés décident d’ouvrir des musées privés lorsque leur collection commence à s’étoffer, en particulier en Asie et au Moyen-Orient, ce qui amplifie cette surenchère. « Ces nouveaux pays se constituent un patrimoine qui commence à l’après-guerre, cela contribue à faire grimper les cotes, surtout celles de ces artistes de culture marketing, nés entre 1960 et 1980, vus dans les fondations internationales, les grandes collections, les musées, et que l’on retrouve en vente publique, à des prix toujours plus élevés à chaque changement de propriétaire. C’est un marché d’artistes vedettes où les acheteurs privilégient ce qui est connu et spectaculaire », commente Georges-Philippe Vallois, président du Comité professionnel des galeries d’art.

Pour peu que la provenance de l’œuvre soit irréprochable ou prestigieuse, comme dans le cadre de la vente Yves Saint Laurent-Pierre Bergé à Paris en 2009, les adjudications deviennent astronomiques. « La confiance, l’adrénaline, c’est 30 % de valeur ajoutée », commentait François de Ricqlès, président de Christie’s France, lors de la vente de la collection Henri-Georges Clouzot à Paris en décembre. À l’heure de la mondialisation, certains puissants collectionneurs sont devenus des marques planétaires, apportant une surcote aux pièces qu’ils revendent.

58 % du chiffre d’affaires avec 1 % du marché
Pourtant, en dehors de ces pièces convoitées de manière exceptionnelle, le marché donne partout des signes de modération. Ainsi Damien Hirst, dont les œuvres ont proliféré tels des produits de luxe, voit aujourd’hui sa cote chuter. « Le marché de l’art a cette particularité d’être imprévisible », souligne Laurence Dreyfus, conseillère en art. En période de récession, un phénomène de bulle n’est pas à exclure, au moins pour certains créateurs. « En 1991, tous les acheteurs ont voulu vendre en même temps, la décote a été sévère, et seulement 30 % des œuvres ont trouvé preneur dans les ventes publiques », rappelle Georges-Philippe Vallois.

Déjà en Asie, le marché se calme. Les Chinois sont moins actifs, alors que les ventes aux enchères de Hong Kong avaient progressé de 136 % ces trois dernières années, comme le souligne François Curiel, patron de Christie’s sur ce continent. À Paris, les dernières ventes d’art moderne n’ont pas tenu toutes leurs promesses. Nombre de pièces surévaluées ont été boudées chez Sotheby’s, dont Le Temps de Maria Elena Vieira da Silva, ravalé à 600 000 euros (estimé entre 800 000 et 1 million d’euros), La Famille de Picasso, invendue à 2,5 millions alors qu’elle était estimée entre 2,8 et 3,5 millions d’euros. « Il faut savoir prendre des risques », a justifié Thomas Bompard, directeur du département art impressionniste et moderne chez Sotheby’s. Chez Artcurial, c’est la moitié des lots qui n’ont pas trouvé acquéreur…

Le fonds Artemundi Global relevait d’ailleurs fin 2012 que les résultats enregistrés par les maisons de ventes étaient faussés par ces records qui donnent le tournis. Comme L’Homme qui marche de Giacometti, parti à 104 millions de dollars, ou Le Cri de Munch, adjugé 119 millions de dollars : si le contexte économique avait été plus sain, ces prix n’auraient jamais été atteints, estime le fonds d’investissement spécialisé, parlant « d’objets de passion », de « trophées » achetés par de riches collectionneurs et ne reflétant nullement l’état du marché. Artprice, base de données mondiales sur l’art, observait pour sa part que 58 % du chiffre d’affaires total du marché de l’art en 2011 ne correspondaient qu’à 1 % des lots présentés en vente publique. Seulement 1 680 lots auraient été vendus plus d’un million de dollars, sur près de 37 millions de transactions enregistrées dans le monde !

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°654 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Ventes publiques - Ces records qui cachent la forêt

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