Suisse - Foire & Salon

« Unlimited » , toujours plus grand, toujours plus cher

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 23 juin 2023 - 739 mots

La section « Unlimited » d’Art Basel qui accueille chaque année des œuvres monumentales n’a pas dérogé à la règle : de grandes œuvres, de grands prix.

Bâle (Suisse). Tout au fond du bâtiment où se loge la section « Unlimited » d’Art Basel, le visiteur – ou le collectionneur – marche, sans s’en apercevoir immédiatement, sur deux millions de dollars [1,8 M€]. C’est, en effet, le prix de la sculpture horizontale, quarante-sept plaques en métal alignées au sol par un des pionniers de l’art minimal, Carl Andre (47 Roaring Forties, 1998). L’œuvre appartient à la galerie Konrad Fischer (Berlin, Düsseldorf) qui propose également une magnifique pièce d’un autre pionnier, celui du land art, Richard Long (Zugspitz Circle, 1998, à 350 000 euros). Visiblement, les pères de l’art contemporain se portent bien, car cette galerie allemande a déjà trouvé preneurs pour trois des cinq éditions de la vidéo récente en noir et blanc de Bruce Nauman (Practice, 2022, 850 000 euros chacune). Elle est loin d’être la seule car, de son côté, David Zwirner (New York, Los Angeles…) annonce la vente d’une des œuvres les plus remarquées, une très grande vidéo – 350 x 200 cm – de Barbara Kruger, Untitled (Our Leader), 1987-2020, soit un visage ambigu, voire monstrueux du pouvoir, partie à 1,3 million de dollars [1,2 M€]. Sans oublier l’incontournable, Gerhard Richter, la star du marché, avec Strip-Tower, 2023 (2,5 M$, soit 2,2 M€).

La peinture XXL

Cependant, l’intérêt essentiel d’« Unlimited » est de découvrir, dans cet immense – et disgracieux – hangar, des pièces monumentales destinées aux musées et aux très grandes collections. Cette année, on est surpris de constater que cet aspect, habituellement réservé aux installations, grandes consommatrices d’espace, est partagé par la peinture qui prend les dimensions XXL. On pourrait même soupçonner que certaines toiles ont été réalisées spécialement pour Bâle. Ainsi le diptyque de Conny Maier, The Source, une peinture colorée semi-figurative, dont les mesures affichent 300 x 700 cm et 300 x 200 cm, présentée par la galerie Société (Berlin), date de 2023 (entre 200 000 et 300 000 euros). Günther Förg, lui, réalise des tableaux de taille inhabituelle depuis 2005. L’œuvre exposée ici – 280 x 1200 cm ! – appartient à une série de toiles recouvertes du motif moderniste par excellence, la grille, tracée d’une manière libre (Sans titre, 2005, galeries Bärbel Grässlin et Hauser & Wirth, à 2,5 M€). Ailleurs, Memorial II (Tryptychon), de 238,5 x 882,5 cm, est une remarquable œuvre où Martha Jungwirth met en scène des animaux et des personnages, à peine suggérés, isolés sur un fond de paysage déserté (galerie Thaddaeus Ropac, 780 000 euros).

Pour autant, malgré leurs formats spectaculaires, les travaux peints ne brillent pas par une inventivité plastique. Ce sont les vidéos et les installations qui offrent des propositions originales, parfois inattendues. La vidéo d’Adel Abdessemed, Jam Proximus Ardet, la dernière vidéo (2021) accueille les visiteurs. Projetée sur un écran géant – pour concurrencer les peintures ? –, l’image figure un bateau qui, partant de l’horizon, avance vers le premier plan. Au fur et à mesure de sa progression, on aperçoit que malgré l’incendie qui se propage à bord, le « capitaine », en réalité l’artiste lui-même, reste immobile, les bras croisés. Impossible de ne pas y voir une allégorie de la situation dramatique de ceux qui tentent de traverser la Méditerranée. Le contraste entre le message de cette œuvre et son prix – 850 000 euros, galerie Continua (Paris, Rome…) – est quelque peu embarrassant. On remarque par ailleurs plusieurs artistes qui évoquent un bateau ou la mer dans leurs œuvres.

Des matelas et des chaises

Mais ce sont avant tout les installations qui prennent une distance avec nos habitudes esthétiques – choix des matériaux, des techniques ou des situations. Avec Matratzentraum (2003-2023), Guillaume Bijl reconstruit soigneusement un magasin des matelas, y compris sa vendeuse – en carton – aguichante, l’écart entre l’art et le réel le plus prosaïque s’estompe (galeries Nagel Draxier, Berlin, Munich ; et Meredith Rosen, New York ; prix : 250 000 euros). Frank West propose avec 100 Chairs (1998), une centaine de chaises bien rangées dans une salle vide. Dans cette version inédite des Chaises d’Eugène Ionesco, le visiteur perd ses repères (galerie David Zwirner). Pir and Ocean, de François Morellet et Tadashi Kawamata (2014) est une installation à quatre mains dans laquelle on pénètre par une simple passerelle réalisée par l’artiste japonais dans une pièce plongée dans une lumière bleu nuit, grâce aux néons qui flottent dans l’espace. L’ensemble forme un désordre géométrique, aux accents poétiques. Les galeristes, toutefois, ne sont pas des poètes. L’œuvre, présentée par la galerie Mennour, a un prix : 600 000 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°614 du 23 juin 2023, avec le titre suivant : « Unlimited » , toujours plus grand, toujours plus cher

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