VENTES PUBLIQUES

Une semaine d’enchères records

Par Éléonore Thery · Le Journal des Arts

Le 31 octobre 2017 - 1011 mots

Les ventes publiques d’art moderne et contemporain organisées pendant la Fiac ont rapporté quelque 120 millions d’euros, envoyant un signal très positif au marché français.

Paris. Mirobolante, décapante, harassante : sans doute les adjectifs manquent-ils pour qualifier ce moment phare pour le marché de l’art français, la semaine de la Fiac (Foire internationale d’art contemporain).

Du côté des ventes publiques, les maisons avaient sorti le grand jeu. Jamais on n’avait vu des vacations en si grand nombre : plus d’une quinzaine en tout, organisées par les sociétés aussi bien anglo-saxonnes que françaises. Si les attentes étaient fortes, les résultats, dans l’ensemble, ont dépassé les espérances. Plus de 120 millions d’euros ont été réalisés en moins de dix jours, qui ne représentent cependant que la moitié des 245 millions d’euros engrangés à Londres une quinzaine de jours auparavant.

Dispersion de la collection Prat
Christie’s a été la première à déployer la stratégie consistant à positionner ses ventes au même moment que les grandes foires. Après plusieurs essais fructueux les années précédentes, l’opérateur a organisé cet automne quatre vacations : deux consacrées à la collection de Jean-François et Marie-Aline Prat (résultat global : 39,5 millions d’euros), sa vente d’art moderne, avancée de décembre à octobre (10,3 millions d’euros), et, pour la première fois, une vente thématique, « Paris Avant-Garde » (38,6 millions d’euros). Clou de cette dernière, Grande femme II, bronze posthume d’Alberto Giacometti, adjugé à 24,9 millions d’euros, pourrait bien être la plus haute enchère de l’année en France. Au terme de cette session ont été réalisés 88,5 millions d’euros (contre une estimation de 60 à 90 millions d’euros) avec 91 % de lots vendus.

Pour la première fois dans le cénacle parisien, le président Monde de Christie’s, Jüssi Pylkkänen, s’est déplacé pour tenir le marteau. Lors de la dispersion de la collection Prat, le tableau Jim Crow (1986), de l’incontournable Jean-Michel Basquiat, a atteint 15 millions d’euros, enchère la plus élevée pour l’artiste en France et pour un tableau cédé cette année dans l’Hexagone. « Cette soirée marque un nouveau tournant pour le département d’art d’après guerre et contemporain chez Christie’s », indiquait Paul Nyzam, responsable de la vente Prat, une fois qu’elle eut été achevée.

Sotheby’s lui avait emboîté le pas en accolant pour la première fois des ventes à la foire parisienne, pour un montant global de 21,5 millions d’euros. Un peu fourre-tout, la soirée consacrée à la traditionnelle vente d’art impressionniste et moderne a engrangé 6,9 millions d’euros quand la collection Arthur Brandt, axée sur les mouvements Dada et surréaliste, atteignait 3,9 millions d’euros. Le nouveau format thématique intitulé « Modernités : de Rodin à Soulages », un intéressant dialogue entre les modernes, des avant-gardes à l’abstraction, a quant à lui totalisé 10,7 millions d’euros avec pour star Le Toit du monde (1926) de René Magritte, une toile disputée jusqu’à 2,6 millions d’euros.

Les deux auctionneers anglo-saxons n’ont pas été les seuls à accorder leurs violons avec ceux de la Fiac, sous des formats thématiques, généralistes ou attachés à des collections. Plusieurs sociétés de ventes à Drouot avaient opté pour la même stratégie, avec des prix bien entendu plus raisonnables : Leclere, Digard Auction, Art Valorem ou Aguttes, pour un total global (art moderne et art contemporain uniquement) autour de 4,5 millions d’euros.

Parmi les succès figure la collection d’un amateur de la Figuration narrative et libre, présentée par Maître Digard : 100 % de lots vendus pour un total de 2,1 millions d’euros (estimation 700 000-900 000 €). À noter, un nouveau record du monde pour Gérard Schlosser et sa toile Il n’y a pas beaucoup de monde aujourd’hui (1970), pour laquelle le marteau est tombé à 136 500 euros, près de quatre fois l’estimation. « C’était un vrai regard, une vraie collection, comme nous les apprécions à l’étude. Et cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu sur le marché un ensemble aussi complet autour de la Figuration libre et narrative. Nous avons été débordés de demandes, du Japon à l’Italie en passant par l’Espagne », indique Maître Digard.

Franc succès pour Charlotte Perriand
D’autres créateurs français ont connu de beaux succès. Ainsi chez Artcurial, qui, comme les années précédentes, avait mis à l’encan un ensemble choisi de pièces de design. La spécialité est justement revenue cette année à la Fiac. Intitulé « Charlotte For Ever », l’ensemble monographique consacré à Charlotte Perriand réunissait pièces emblématiques (telle la bibliothèque pour la Maison du Mexique, 1952) et des pièces rares voire uniques – comme une potence vendue directement par Pernette, fille de la créatrice. Seule femme parmi les « French Masters » fort en vogue, la designer a reçu un franc succès. 100 % des lots ont trouvé acquéreur pour un total de 3,1 millions d’euros (estimation : 1,2 à 1,4 M€). Un grand bureau dit « en forme » (1939) a établi un nouveau record pour l’artiste à 703 400 euros. « Les lots iconiques ont bien marché, sans performance particulière. Les pièces uniques en revanche ont obtenu des résultats extraordinaires, c’est vraiment ce que recherchent les collectionneurs », analysait Emmanuel Bérard, responsable du design chez Artcurial. Celui-ci avait collaboré étroitement avec la famille de l’artiste et documenté le catalogue avec soin.

Que conclure alors de cette semaine de haut vol ? Tout d’abord, que les acteurs du marché ont été bien inspirés de concentrer leurs ventes au moment de la Fiac, créant ainsi un cercle vertueux. « Les collections très importantes sorties à Paris plutôt qu’à Londres cet automne ont poussé les collectionneurs étrangers à venir en France, relève Maître Digard. À Drouot, un collectionneur m’a significativement fait savoir qu’il avaitcette année préféré la Fiac à Frieze parce que les maisons de ventes avaient choisi de donner la main à la foire. » Un signe qui pourrait faire taire les habituels pessimistes au sujet du marché français ? « J’imagine que Paris va redevenir une place très importante pour l’art impressionniste, moderne et contemporain, compte tenu de la fermeture des frontières anglaises et du volontarisme de notre président. Cela permettra de faire revenir les collectionneurs du monde entier dans cette capitale qui fait rêver », veut croire cette optimiste.

Toutes les estimations sont indiquées hors frais, les résultats, frais compris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°488 du 3 novembre 2017, avec le titre suivant : Une semaine d’enchères records

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