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Une retraite utopique ?

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 9 juin 2010 - 735 mots

Un fonds de pension pour artistes, mis en place il y a six ans, soulève les interrogations du milieu de l’art.

NEW YORK  - Dans la panoplie des fonds d’investissement, il en est un plutôt controversé, l’Artist Pension Trust. Créé en 2004 par l’homme d’affaires Moti Schniberg, il se présente comme une retraite pour les artistes qui ne bénéficient d’aucun système traditionnel de cotisations (lire le JdA no 199, 24 septembre 2004). Les créateurs remettent au fonds vingt œuvres sur vingt ans, chacune d’une valeur minimale de 5 000 dollars. L’organisme est éclaté en huit fonds locaux répartis dans le monde, lesquels visent à rallier chacun 250 artistes. Dès que ce chiffre est atteint, le fonds est clôturé. Londres et New York ont fermé, tandis que Mexico, Dubaï, Pékin et Bombay sont encore en cours de constitution. Une fois le fonds achevé, le montant des ventes sera reversé annuellement selon le schéma suivant : 40 % vont directement à l’artiste, 32 % au compte commun de l’ensemble des membres du fonds, et 28 % aux investisseurs qui financent actuellement l’organisation de la structure.
Sur le papier, l’idée d’une mutualisation et d’une responsabilité collective est louable. 1 274 créateurs ont déjà adhéré à l’idée. Certains ont même transformé une opération d’épargne en action artistique. L’Italien Roberto Cuoghi ne dépose ainsi que des autoportraits.

Les curateurs chargés de conseiller les organisateurs du fonds ont un rôle crucial. « Je suggère deux fois par an des artistes, pas seulement pour la qualité de leurs œuvres, mais aussi pour leur manière de gérer leur carrière et le potentiel que je vois en eux sur le très long terme », indique le galeriste Peter Nagy (New Dehli), membre du comité curatorial pour le fonds de Bombay. « Dans certains cas, nous avons mis des dossiers en pause pendant deux à trois ans pour constater l’évolution de l’œuvre avant de décider, ajoute Charlotte Laubard, directrice du CAPC-Musée d’art contemporain de Bordeaux et conseillère du fonds londonien. Notre travail s’est arrêté là. À aucun moment je n’ai appelé d’artiste pour lui dire d’intégrer le fonds. » En revanche, une fois la liste définie, les organisateurs contactent les plasticiens en indiquant le nom du curateur qui les a désignés. « Nous n’avons jamais été rémunérés pour le nombre d’artistes entrant dans le fonds », précise Charlotte Laubard.

« Hors de tout contrôle »
Une enquête publiée fin 2009 par le journal Particules pointait  des risques de conflit d’intérêts, comme celui d’intégrer systématiquement des artistes du fonds dans les expositions organisées par les curateurs. « Je ne me sens pas le moins du monde sous pression pour montrer des œuvres du fonds », se défend Rein Wolfs, directeur de la Kunsthalle Fridericianum à Cassel et conseiller de la structure londonienne. La rémunération d’environ 2 000 dollars par session de travail, soit 4 000 dollars pour une année de conseil, serait bien faible pour de la corruption organisée… Certains observateurs s’inquiètent toutefois du poids que prendra cette collection d’ici quinze ans. « Elle pourrait devenir une force de frappe hors de tout contrôle, avec un pouvoir supérieur à celui de tout le monde réuni », redoute le galeriste parisien Michel Rein. « Il ne faut pas tomber dans la science-fiction, estime la curatrice Natasa Petresin-Bachelez, codirectrice des Laboratoires d’Aubervilliers et conseillère pour la structure de Dubaï. Un grand nombre d’artistes importants ne figurent pas dans le fonds. Celui-ci est par ailleurs constitué de beaucoup de multiples, comme la vidéo, et les institutions n’auront pas forcément à puiser dedans des œuvres qu’elles pourraient se faire prêter autrement. »

Cette mutualisation présente-t-elle un intérêt pour les créateurs ? « Si ce sont de bons artistes, ils n’auront pas de problème de retraite », estime Michel Rein. Star du marché indien, Subodh Gupta a ainsi refusé d’en faire partie. « Subodh veut garder le contrôle de ses œuvres, mais tous les artistes ne sont pas aussi bien organisés ou ne produisent pas autant pour pouvoir le faire », observe Peter Nagy. Tous les fonds ne possèdent pas non plus le même potentiel de plus-value. Celui de Bombay ne pourra pas forcément rivaliser avec ceux de Londres ou New York. Il n’est de fait pas sûr que l’entreprise soit viable à long terme, car seuls 2 à 3 % des créateurs les plus connus contribueront à la retraite des autres. Un Douglas Gordon ou un Urs Fischer, lesquels ont adhéré dès le début à l’initiative, feront partie des locomotives. Mais pour combien de temps ? Les artistes peuvent à tout moment quitter le fonds, et on le sait, l’individualisme est tenace dans le milieu de l’art.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°327 du 11 juin 2010, avec le titre suivant : Une retraite utopique ?

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