Foire & Salon

Trésors au fil des sections

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 2 mars 2018 - 2126 mots

MAASTRICHT / PAYS-BAS

Les marchands réservent leurs plus belles pièces, souvent inédites, pour Tefaf. Cette année encore, dans chaque section, on relève des œuvres de qualité muséale dont les prix annoncés dépassent souvent le million d’euros. En voici une sélection.

<em>La Lionne</em>, 1483, Asie Centrale, encre et pigments sur papier, 242 x 287 cm
La Lionne, 1483, Asie Centrale, encre et pigments sur papier, 242 x 287 cm
© Rossi & Rossi, Londres

SCULPTURE ANTIQUE
Pour sa première participation à la foire néerlandaise, la galerie Chenel – déjà présente à Tefaf New York Fall en 2016 et 2017 – choisit de dévoiler une œuvre qu’elle n’a jamais montrée auparavant. Issue de l’ancienne collection Nicholas Chrissoveloni, acquise par Alex Wengraf chez Sotheby’s Londres en juin 1962, la statue est ensuite achetée auprès de la galerie new-yorkaise Royal-Athena, puis appartient à une collection américaine entre 1999 et 2014. Ici, Aphrodite sort de son bain, entièrement nue, son manteau ayant glissé sur ses jambes. Ce type statuaire dérive du modèle de l’Aphrodite de Cnide, première représentation de la déesse entièrement nue, due au sculpteur grec Praxitèle au IVe siècle avant notre ère. « Les proportions sveltes de la déesse, ses chairs lisses et ce motif du manteau tombant bas permettent de dater la sculpture de la fin de la période hellénistique », indique la galerie.
Aphrodite, fin de la période hellénistique, Ier siècle av. J.-C., marbre. H : 114 cm. Galerie Chenel, Paris
Prix proposé : 900 000 €

ART D’ASIE
La représentation grandeur nature d’une lionne et de deux émissaires étrangers immortalise le cadeau que fit le sultan Ahmad de Samarcande à la cour de l’empereur Chenghua en 1483 (dynastie Ming). Elle est accompagnée d’une inscription de l’empereur. La pièce possède une provenance illustre, puisqu’elle a appartenu à la collection Gulbenkian. Elle a également fait partie de la vente aux enchères orchestrée par Charles Vignier et André Portier en 1922 de pièces issues de la collection du marchand allemand Edgar Worch saisies par les Français durant la Première Guerre mondiale. Bien que l’œuvre ait été précédemment attribuée à un peintre impérial chinois inconnu, la galerie pense que l’artiste provenait d’Asie centrale, mais formé dans le style chinois. Merveilleusement conservée, cette peinture qui rapporte un fait réel parfaitement documenté témoigne également des échanges culturels entre l’Asie centrale et la Chine au cours du XVe siècle.
La Lionne, 1483, Asie Centrale, encre et pigments sur papier. 242 x 287 cm.Rossi & Rossi, Londres
Prix proposé : Env. 23 millions d'euros

PEINTURE RENAISSANCE ALLEMANDE
Après s’être absenté un an, Otto Naumann revient à Maastricht. Cette fois-ci, il n’a pas apporté de Rembrandt, mais un portrait de la Renaissance allemande, peint à Augsbourg par le portraitiste préféré des riches notables de la ville. Le modèle, Barbara Schwarz, était la femme du riche comptable Matthäus Schwarz, connu pour avoir compilé son Livre des costumes, qualifié de « premier livre de mode au monde ». Le pendant du portrait figurant le mari du modèle est conservé au Musée Thyssen-Bornemisza de Madrid. Restés ensemble pendant cinq cents ans, ils ont été séparés en 1934 lors de la vente de la collection von Hirsch à Londres. Ayant séjourné en Italie, profondément influencé par le Titien, le peintre fusionne avec succès les formules italiennes et les coutumes allemandes héritées de Dürer et d’Holbein. Le portrait sera visible en 2019 au Musée Herzog Anton-Ulrich à Brunswick, lors de l’exposition consacrée au livre de Matthäus Schwarz.
Christoph Amberger (vers 1505-1561/2), Portrait de Barbara Schwarz, 1542, huile sur panneau. 72 x 61,2 cm.Otto Naumann, LTD, New York
Prix proposé : 1,7 million d’euros

ART MÉDIÉVAL
L’art du Moyen Âge est une spécialité de niche. Au niveau mondial, moins d’une dizaine de marchands se partagent un marché très haut de gamme alimentant musées et collections privées. Et s’il existe une foire où se retrouve ce cercle étroit, c’est bien Maastricht. Provenant de l’ancienne collection de Gerlache, cette crosse limousine représente la scène de l’Annonciation, inscrite dans la volute du crosseron. Selon l’étude approfondie des émaux de Limoges menée par Jean-Joseph Marquet de Vasselot (1871-1946), historien d’art et directeur du Musée de Cluny, l’Annonciation est le deuxième sujet le plus fréquemment représenté par les émailleurs limousins après saint Michel terrassant le dragon. « Cette crosse est particulièrement proche de certaines crosses appartenant au même groupe, telle que la crosse de l’ancienne collection Stroganoff (Metropolitan Museum of Art, New York) ou celle de l’ancienne collection Baverey (Musée de Cluny, Paris) », explique la galerie.
Crosse, L’Annonciation, Limoges, vers 1220-1240, cuivre, champlevé, émaillé et doré. H : 33,5 cm.Galerie Brimo de Laroussilhe, PariS
Prix proposé : Env. 500 000 €

PEINTURE MANIÉRISTE ITALIENNE
Si la peinture des écoles du Nord a longtemps été l’apanage de Maastricht, la peinture italienne y est de plus en plus exposée, bénéficiant actuellement d’un engouement certain des collectionneurs. Protégé de Giorgio Vasari, dont il fût l’élève, le maniériste florentin Jacopo Zucchi est connu pour sa production variée. Il a exécuté de grands retables, a conçu des meubles et des intérieurs et a également produit de plus petites images de chevalet, souvent sur cuivre, comme l’œuvre présente. Un autre cuivre, de même sujet, de même dimension et de conception très similaire est conservé au Musée des Augustins de Toulouse. La galerie Haboldt présume que l’œuvre a été commandée en1583 par le cardinal Ferdinand de Médicis, protecteur de l’artiste. Le cardinal lui fera d’ailleurs réaliser de nombreux projets artistiques dont la décoration de la Villa Médicis à Rome.
Jacopo Zucchi (vers 1540-vers 1590), La Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste enfant, 1583, huile sur cuivre. 46,8 x 37,5 cm. Haboldt. Pictura, Paris, Amsterdam
Prix proposé : 875 000 €

PEINTURE MANIÉRISTE ITALIENNE
Né à Arpino, l’artiste arrive à Rome en 1582. Il y fera toute sa carrière, devenant le peintre officiel des papes, de Grégoire XIII à Clément VIII. Stylistiquement, sa peinture s’insère entre le maniérisme et le Baroque. Cette longue frise monochrome, peinte comme un bas-relief, n’est pas sans rappeler les sarcophages romains, dont le peintre s’est certainement inspiré. Provenant de l’ancienne collection Saracco-Riminaldi (Ferrare), le tableau représente la victoire de l’empereur Constantin sur Maxence au pont Milvius, dans les environs de Rome. En remportant la bataille en 312, Constantin reconquiert l’Italie, une victoire capitale donc. Herwarth Röttgen, historien d’art et auteur d’une monographie sur le Cavalier d’Arpin, date le tableau des années 1635-1640, soit une œuvre tardive en raison des longs coups de pinceaux caractéristiques de cette période.
Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d’Arpin (1568-1640), La Victoire de Constantin, 1635-1640, huile sur toile. 168 x 380 cm. Galerie Canesso, Paris
Prix proposé : 1,6 million d’euros

PORCELAINE CHINOISE
Spécialisée dans la porcelaine chinoise, notamment d’exportation, l’antiquaire propose cette paire de vases, issue d’une série de huit, de différentes provenances, certains d’entre eux acquis auprès d’un collectionneur européen. Spécialement conçus pour le marché européen, les vases en porcelaine de cette taille étaient extrêmement difficiles à produire donc extrêmement coûteux. Le nom de vase « soldat » provient d’un échange historique : en 1717, Auguste le Fort, électeur de Saxe et roi de Pologne (1670-1733), fondateur de la Manufacture de Meissen et collectionneur de porcelaine chinoise, échange avec Frédéric-Guillaume de Prusse, le « Roi Soldat » (1688-1740), 600 cavaliers de son armée contre 151 vases de porcelaine de Chine.
Paire de vases couverts dits « soldats » en porcelaine bleu poudré, Chine, Dynastie Qing, période Qianlong (1736-1795), vers 1780-1795. Porcelaine décorée en bleu de cobalt sous glaçure, émaux de la famille de la rose sur glaçure et or. H : 138 cm.Jorge Welsh Works of Art, Londres, Lisbonne.
Prix proposé : Env. 500 000 €

ART PREMIER
L’histoire de cette tête Lega en ivoire est étroitement liée à celle de la collection de Charles Ratton (1897-1986), collectionneur et expert légendaire, qui a été l’un des précurseurs à reconnaître les arts premiers comme des œuvres d’art. Il a accompli un véritable tour de force en réunissant trois des plus importantes œuvres Lega connues : cette tête – apparue pour la première fois sous son nom dans une publication de 1955, le masque de la collection Louis Carré (qui a appartenu plus tard à Picasso) et l’appui-nuque de même provenance, également présenté sur le stand de la galerie. En plus de son pedigree, et du fait qu’il a fait partie de la mythique exposition African Negro Art organisée en 1935 au MoMA de New York, l’appui-nuque ne manquera pas de retenir l’attention avec ses dimensions hors du commun pour un objet en ivoire.
Une tête du bwami, Peuple Lega, République démocratique du Congo, ivoire et coquillages, XIXe siècle ou antérieur. H : 11 cm. © Photo : Hugues Dubois. Galerie Dulon, Paris
Prix proposé : Env. 1 million d’euros

ART NOUVEAU
À l’instar des Français Lucas Ratton, Xavier Eeckhout ou Éric Delalande, Oscar Graf est passé par la case show case en 2016. Cette année, c’est à son tour d’intégrer la prestigieuse foire néerlandaise, lui qui a ouvert sa galerie en 2010, consacrée au mobilier et aux œuvres d’art français, anglais et américain de 1870 à 1910. Pour cette grande première, le jeune marchand s’inspire de l’exposition « International Arts and Crafts » de 2005 au Victoria & Albert Museum de Londres, « une des premières à avoir exploré le style 1900 d’un point de vue international, sans se limiter au trio Angleterre, États-unis et Europe de l’Ouest ». Parmi les vingt pièces sélectionnées figure ce fauteuil, rare exemple de mélange des styles Talachkino et Abramtsevo, les deux grands mouvements Arts and Crafts russes de l’époque. À ce jour, seuls cinq exemplaires de ce fauteuil sont connus, les quatre autres étant conservés dans des musées russes.
Sergei Malyutin, Fauteuil « trône », modèle créé en 1903, réalisé en 1905-1907, Russie, bouleau sculpté. H : 143 cm. Oscar Graf, Paris
Prix proposé : entre 50 000 et 100 000 €

MOBILIER D’ARCHITECTE
Spécialisé dans le mobilier d’architectes du XXe, c’est une création de Jean Prouvé que François Laffanour a choisi de montrer. Acquise auprès d’une collection privée près de Nancy qui la conservait depuis de nombreuses années, cette table est une commande spéciale de 1939 pour l’aménagement des espaces privés de l’Aéroport de Toulouse-Francazal. Elle fait partie des rares meubles réalisés dans le courant des années 1930 lorsque Jean Prouvé était membre de l’Union des artistes modernes, un des mouvements modernistes les plus importants de l’Europe des années 1920-1930. C’était aussi le tout début des Ateliers Jean Prouvé. Ce modèle, réalisé en très peu d’exemplaires, ne sera jamais édité par la suite. Son origine est un modèle plus petit conçu vers 1937 pour une école dans l’Ouest de la France.
Jean Prouvé, Table rectangulaire à six tiroirs, vers 1939, plateau en Eternit, reposant sur une structure en tôle pliée laquée à quatre pieds effilés, les tiroirs en tôle emboutie. 76 x 200 cm © Photo : Marie Clérin. Laffanour-Galerie Downtown, Paris
Prix proposé : Env. 300 000 €

PEINTURE ART MODERNE
Le Belge Christophe Van de Weghe, installé à New York sur la prestigieuse Madison Avenue, non loin de Larry Gagosian qui l’a formé, expose à Tefaf depuis 2009. Et cette année, il mise sur un classique : Picasso, qui reste le champion incontestable des noms les plus « désirables ». Tête d’homme est un portrait appartenant à un groupe de têtes et de bustes masculins peints par Picasso en 1965. Exécutées en succession rapide, ces œuvres témoignent de la vitalité et de l’élan créatif du peintre dans sa période tardive. Sûr de son coup de pinceau, le maître espagnol fait émerger un visage en quelques traits rapides et zigzags de couleur livrant un portrait saisissant. À propos de ses figures masculines dans son œuvre tardive, Picasso a déclaré : « Chaque fois que je dessine un homme, je pense à mon père… Tous les hommes que je dessine ont plus ou moins ses traits. » 
Pablo Picasso (1881-1973), Tête d’homme, 1965, huile sur toile. 41,5 x 33 cm, Van de Weghe Fine Art, New York
Prix proposé : Env. 2,8 millions d’euros

SCULPTURE ART CONTEMPORAIN
La galerie londonienne, établie depuis 2004 à Londres et 2009 à Hongkong est spécialisée en art contemporain. Elle expose à Tefaf de Maastricht depuis 2009, mais aussi à Tefaf New York Spring depuis la première édition en 2016. La galerie présente régulièrement des œuvres de Claude et François-Xavier Lalanne, elle leur a d’ailleurs consacré une exposition en 2016. Sculpteurs inclassables ayant fait de la nature et des animaux le support de leurs créations, c’est une sculpture de Claude Lalanne que la galerie a choisi de mettre en avant. Ce lapin géant, dressé sur ses deux pattes arrière et prenant appui sur un bâton a été acquis directement auprès de l’artiste et est resté depuis dans une collection américaine. En 2014, le modèle d’origine (2001) s’est vendu 2 millions de dollars (soit 1,60 M €) chez Sotheby’s New York.
Claude Lalanne (née en 1925), Lapin de Victoire, bronze, modèle créé en 2001, fondu en 2005, numéroté 6/8. 222 x 90 cm. Ben Brouwn Fine arts, London, Hongkong.
Prix proposé : Env. 1,5 million d’euros

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°496 du 2 mars 2018, avec le titre suivant : Trésors au fil des sections

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