Trafics illicites

Une lutte à deux vitesses ?

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 15 décembre 2000 - 794 mots

La mise en cause du président de la République à l’occasion de la célébration du 30e anniversaire de la convention Unesco sur la lutte contre les trafics illicites de biens culturels manifeste une inversion culturelle : on attend des marchands la pratique d’une déontologie que les États refusent de s’appliquer à eux-mêmes.

PARIS - La tournure prise par l’introduction dans les futures collections du Musée des arts premiers de sculptures du Nigeria, et leur chaotique blanchiment diplomatique, entretiendra sans doute la querelle ancienne sur l’idée même de ce musée dont il a parfois été dit qu’il constituerait un encouragement aux fouilles et trafics clandestins. Mais cette situation diplomatique embarrassante n’a rien de nouveau. Après tout il y a quelques années une conservatrice de la Bibliothèque nationale s’était cloîtrée dans un hôtel de Corée pour empêcher la restitution à l’État d’origine d’un document répertorié propriété publique française. C’était à l’occasion d’une visite de François Mitterrand. On avait alors mis en balance l’inaliénabilité des collections publiques françaises et l’espoir de vendre des TGV aux Coréens. À peu près à la même époque, Jack Lang avait dû s’expliquer sur le cadeau fait à Gorbatchev d’une paire de pistolets ayant appartenu à Pouchkine mais détenue par le Musée de Blois. La difficulté vient de ce que pour perpétuer ces petits accommodements, jusqu’à l’amnistie rétroactive, on entérine un régime à deux vitesses. Le secteur public, s’estimant sans doute au-dessus de tout soupçon, considère qu’il n’a pas d’engagement à prendre. Incarnant le bien public il lui semble superflu d’acter et d’appliquer clairement un code de déontologie. Dans le même temps, on réclame du secteur privé, des marchands, de s’engager. Et la réunion anniversaire de l’Unesco avait parmi ces thèmes de présenter ce nouveau code et d’appeler à une prompte mise en application de la convention Unidroit. L’intervention de lord Renfrew, qui a ouvert la polémique à l’Unesco, n’a ménagé ni le public, ni le privé. Et il a étendu la question des trafics à celle particulièrement difficile des biens culturels sans provenance, soulignant implicitement l’hypocrisie d’une attention exclusivement réservée aux objets volés. Il a dénoncé “un cycle de complicité dans les expositions d’antiquités de provenance inconnue dans nombre des plus grands musées du monde (...)”. Et il a rappelé que si le problème commençait sur les sites exposés aux fouilles clandestines, et se poursuivait par le trafic illicite des intermédiaires, il fallait aussi s’intéresser aux acheteurs : collectionneurs et musées. Sa liste de récriminations n’a épargné personne. Parmi les idées fortes, le fait que les grandes expositions, accompagnées de nombreux hommages aux collectionneurs, de catalogues complaisants, contribuaient largement à faire accepter l’appropriation de biens culturels d’origine inconnue. Autre considération, plus classique mais largement occultée par le culte moderne de l’objet, le dommage irrémédiable que constitue la destruction de son contexte par les fouilles clandestines. Pas de remède miracle à cette situation. Lord Renfrew a rappelé l’impératif d’éducation. Mais c’est un travail de longue haleine, alors que les pillages se font dans les pays très démunis.

Appel à la mise en force rapide de la convention Unidroit
In fine la meilleure manière de freiner les trafics c’est l’action vers les acheteurs. Dans ce sens, le constat abrupt de Colin Renfrew montrait l’importance des textes internationaux. Les conventions proclament des principes, c’est leur rôle normatif. Mais on les raille car elles ne les assortissent pas de sanction : situation normale, dans un monde d’États qui se réservent la règle pénale. En matière de trafic de biens culturels, la seule mesure internationale susceptible d’effet c’est la répression civile qui fragilise la propriété des acheteurs complaisants ou négligents. C’est pourquoi la réunion de l’Unesco a appelé à la mise en force rapide de la convention Unidroit. Catherine Tasca a signalé dans un message à l’Unesco que la France avait engagé ce processus et que “le gouvernement a décidé de soumettre prochainement au Parlement le projet de ratification de la convention”. Pour éviter que cette initiative ne soit perçue, seulement, comme une mesure visant exclusivement les marchands et collectionneurs privés, sans doute serait-il opportun que le secteur public manifeste son attachement aux mêmes principes. Dans ce sens, une “mise en vigueur” non équivoque du code de déontologie de l’Icom serait un signe clair.

Comme le gouvernement va prochainement lancer l’examen de la “loi musées” peut-être pourrait-il faire allusion aux textes de l’Icom ? Le projet de loi s’en inspire pour établir la définition du musée. Ne pourrait-il y faire référence explicite dans un préambule à la loi qui, sans remettre son économie en cause, permettrait de guider l’action ultérieure des responsables ? Car si on trouve dans le projet de la “loi musées” de fermes articles sur l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité des collections publiques, rien n’est dit sur les vigilances requises en ce qui concerne leur enrichissement.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°117 du 15 décembre 2000, avec le titre suivant : Trafics illicites

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