Realpolitik et droit international

Mauerbach : le statut des œuvres incertain

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1996 - 444 mots

Qu’est donc devenue la déclaration solennelle de Londres du 5 janvier 1943 ? Cette déclaration des nations alliées réservait tous droits de contester les pillages, spoliations, transferts de propriété, même d’apparence légale, opérés dans les territoires occupés par les puissances de l’Axe. Elle était le fondement juridique des actions conduites après la guerre en vue de la restitution des biens spoliés et n’a pas, sauf erreur, été abrogée ou rapportée.

C’est en vertu de ce texte que les œuvres entreposées près de Salzbourg ont été récupérées puis confiées aux autorités autrichiennes, qui les ont déposées dans le monastère de Mauerbach. À priori ce transfert n’entraînait pas dévolution de propriété à l’Autriche, situation qui ne semble pas avoir été modifiée par le Traité de Vienne du 15 mai 1955 entre l’Autriche et les Puissances alliées.
 
On peut donc s’interroger sur la validité même de la loi fédérale autrichienne n° 515 du 4 août 1995, "portant amendement de la loi n° 2 (de 1986) sur le réglement définitif des questions relatives aux œuvres d’art et biens culturels", pour habiliter le ministre fédéral des Finances à remettre gratuitement au groupement fédéral des communautés de culte israélite d’Autriche "les biens culturels qui n’auraient pas été rendus à leurs propriétaires originels, ou héritiers de ces derniers, suivant les procédures prévues par la présente loi [de 1986] afin qu’ils soient vendus", les produits de la vente devant être redistribués à des victimes du régime nazi.

Malgré les assurances mentionnées dans le catalogue précisant en particulier que, conformément au droit commun des ventes publiques en Autriche les acheteurs auront "un droit fondamental de propriété opposable à toutes revendications légales émanant de tiers" y compris ceux "qui pourraient prouver leur droit de propriété", le statut de ces œuvres semble donc encore incertain.

Des pièces d’origine française ?
En fait, un juge autrichien aurait répondu par avance à cette interrogation en déboutant en 1993 les Pays-Bas, qui avaient introduit une action en restitution. Le juge avait considéré que la loi néerlandaise – prise après guerre sur le fondement de la déclaration alliée de 1943 pour déclarer nulles les ventes forcées – n’était pas applicable en Autriche. Il semble que les Pays-Bas n’aient pas souhaité faire appel de ce jugement et préféré négocier directement la restitution de certaines pièces avec la communauté israélite autrichienne .

Bref, outre la difficulté d’une action judiciaire, cette affaire démontre que les œuvres transférées en Autriche ne contenaient pas que des propriétés de familles autrichiennes et qu’il y a urgence, si ce n’est déjà fait, à "éplucher" les catalogues établis par Chris­tie’s pour, le cas échéant, faire valoir des droits sur des pièces dont pourrait être affirmée l’origine française.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°29 du 1 octobre 1996, avec le titre suivant : Realpolitik et droit international

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