Profession

Enquête

Profession : art advisor

Par Éléonore Thery · Le Journal des Arts

Le 4 septembre 2013 - 1313 mots

Mandatés par les plus grands collectionneurs, l’« art advisor » sait où et comment dénicher l’œuvre rare et les talents de demain, mais ses missions méritent d’être mieux définies.

PARIS - Tout a commencé par l’ouverture du cabinet de conseil de Marc Blondeau : en 1987, l’ex-dirigeant de Sotheby’s France faisait naître la version hexagonale de l’art advisor (conseil en acquisition d’œuvres d’art), directement importé des États-Unis. Le métier s’est depuis développé, suivant les évolutions d’un marché de l’art dont la mondialisation et la financiarisation ont complexifié l’approche. Et ce jusqu’à voir fleurir depuis deux ou trois ans un nombre croissant de vocations, plus ou moins flatteuses pour la profession. « La naissance de la profession est liée au développement phénoménal des salles de vente. Est apparu le besoin d’un avis neutre concernant la qualité et la valeur d’un objet, tandis que se développait la notion de service », analyse Marc Blondeau, qui a compté parmi sa clientèle François Pinault ou Claude Berri. Dans le même temps, les foires prenaient une place croissante et s’établissaient aux quatre coins du monde. « Les foires sont très contraignantes, et comparables à l’ouverture des soldes : ce n’est pas un plaisir pour les collectionneurs de devoir se décider en 5 minutes », explique Hervé Mikaeloff, conseiller de Bernard Arnault ou de la collection d’entreprise Sanofi. « De plus en plus de gens s’intéressent à l’art contemporain, dont l’offre est toujours plus vaste et complexe », ajoute Frédéric Morel, ancien dirigeant du groupe Flammarion, aujourd’hui art advisor.

Un médiateur qui écoute, analyse et anticipe
Comment opère ce conseiller d’un nouveau genre ? « L’art advisor guide dans un choix d’œuvres pour définir une collection et ses contours. Nous sommes des médiateurs », indique Hervé Mikaeloff qui a fait ses gammes à la Fondation Cartier et à la Caisse des dépôts. Le défi du conseiller consiste à trouver une œuvre d’art et à la négocier au meilleur prix. Et libre à ce chercheur d’art de proposer plutôt que de combler une demande. « Il est plus facile de provoquer le désir plutôt que de le remplir : je pars souvent de l’œuvre que je peux localiser dans une galerie ou une collection », explique Marc Blondeau. « Je ne suis pas un collectionneur par procuration, je n’ai jamais carte blanche », précise-t-il.

La clé du succès ? Faire gagner du temps et être le sésame d’un monde verrouillé. Sans conseiller, difficile d’avoir accès aux meilleures œuvres. Et pour guider le collectionneur, il ne faut pas hésiter à le prendre par la main : leçons privées d’histoire de l’art, visite des galeries, foires ou expositions. « Je commence par l’idéal, je vois alors par quoi ils sont intéressés », indique Laurence Dreyfus, qui prodigue ses conseils auprès de l’un des fils Decaux ou de la créatrice de la griffe Maje et se voit comme « une aide à la décision ». Le credo de la jeune femme : « avoir la bonne œuvre, au bon moment, au bon prix ». Pour opérer, ces dénicheurs de talents s’appuient sur des connaissances approfondies en histoire de l’art. Laurence Dreyfus explique : « Le conseiller est là pour son regard et ses connaissances : qui est l’artiste, sa pièce est-elle d’une bonne année, a-t-elle transité dans des collections, que vaudra-t-elle dans dix ans ? » Tout l’art réside en effet dans la capacité à être dans l’air du temps tout en anticipant la valeur future d’une œuvre. S’ajoutent une fine connaissance du marché, un solide réseau et des entrées privilégiées dans les galeries, chez les spécialistes ou auprès des salles de vente. « Plus le conseiller a accès au premier choix, plus il est considéré », expertise Edmond Francey, responsable du département d’art contemporain chez Christie’s France, qui note un développement des ventes de gré à gré grâce aux art advisors. Le conseiller se doit encore d’être fin psychologue. « Aider à constituer une collection ressemble à une psychanalyse », indique Hervé Mikaeloff tandis que Frédéric Morel met en avant une « capacité à être à l’écoute, à comprendre la personnalité des gens et leurs motivations ». Au-delà de ces missions de conseil, les prérogatives de ces chercheurs d’art sont à géométrie variable : gestion administrative de collection, prêt et vente d’œuvres, logistique, participation aux enchères au nom du client… Certains, à l’instar de Laurence Dreyfus et Hervé Mikaeloff, ajoutent encore à leurs cordes le commissariat d’expositions. La frontière est finalement mince entre le cœur de métier de l’art advisor et la profession de courtier, et le conseiller peut tirer une bonne partie de ses revenus de cette activité. « Le courtage va avec le conseil, plus on a d’expérience, plus on sait qui cherche quoi », explique Laurence Dreyfus. Et si les plus sérieux gèrent la transaction autour d’une œuvre, il n’en va pas de même pour tous. « L’art advisor est un courtier caché qui ne prend pas ses responsabilités ! », tempête Marc Blondeau. Précisons que la profession ne dispose aujourd’hui d’aucun statut, diplôme ou règle : chacun peut s’improviser art advisor, d’où des dérives. « Art advisor c’est d’abord une appellation et parfois il y a quelque chose derrière ! », s’insurge encore Marc Blondeau. Derrière une multitude d’intervenants, les conseillers de qualité, dont Patricia Marshall, Étienne Bréton ou Philippe Ségalot font également partie aux côtés des interviewés, sont en réalité peu nombreux.

Des coûts à réglementer
Côté rémunération, les pratiques se situent entre 3 et 10 % du prix de la vente, le pourcentage diminuant lorsque la transaction augmente. Pour la grande majorité de ces professionnels, la commission est payée par l’acheteur. « Je n’ai aucun lien financier avec un artiste ou une galerie », annonce ainsi Laurence Dreyfus. Ce système n’est pourtant pas défendu par tous. « Je peux prendre une commission côté vendeur ou côté acheteur, jamais les deux », explique Marc Blondeau. Frédéric Morel, lui, est systématiquement payé par le vendeur, une pratique sujette à polémique. « Il n’y a aucun conflit d’intérêt, car je n’ai pas de contrat avec qui que ce soit », se défend-il. Ce pourcentage de vente peut être assorti d’honoraires, voire totalement remplacé dans le cas de conseil au profit d’institutions. La clientèle est, quant à elle, constituée de particuliers, musées ou collections d’entreprise. « Les institutions travaillent de plus en plus avec des conseillers », note Hervé Mikaeloff. Chez les collectionneurs privés, dont l’internationalisation va croissante, la diversité de profils est importante : connaisseurs ou néophytes, acheteurs occasionnels ou amasseurs acharnés, jeunes héritiers ou capitaines d’industrie… Mais le recours à un art advisor reste bien entendu un service de luxe. « Je ne prends pas de client en dessous de 100 000 à 150 000 euros sur un budget annuel. Après, je peux conseiller à Bâle des pièces à 5 000, 20 000 ou 800 000 euros », confie Laurence Dreyfus. Quel avenir pour la profession ?

Chacun s’accorde à dire qu’il serait profitable de la réglementer et avant tout de la doter d’un statut. Un code de déontologie est appelé par les professionnels tandis que le métier devrait se structurer, à l’image des pays anglo-saxons. « Il faut s’organiser ou alors se fédérer, je travaille d’ailleurs beaucoup plus qu’avant avec d’autres art advisors », observe Laurence Dreyfus. Pour Hervé Mikaeloff, l’avenir des art advisors sera aussi du côté des institutions publiques : « le conseiller artistique pourrait être amené à proposer des projets aux musées ou à placer des œuvres dans les collections publiques. En France, son image encore mercantile devrait évoluer ». Pour autant, l’art advisor, très à la mode aujourd’hui, n’est pas le nouvel eldorado. « Il devrait tenir un rôle de plus en plus important, mais la profession va rester à la marge. Elle devrait se spécialiser, sur de nouvelles scènes artistiques ou sur quelques artistes », prédit Edmond Francey. Avis aux vocations naissantes.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°396 du 6 septembre 2013, avec le titre suivant : Profession : art advisor

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