Patricia Marshall : « une course effrénée dès l’ouverture »

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 4 juin 2014 - 846 mots

Dans le milieu de l’art, Patricia Marshall est connue comme le loup blanc. Comptant parmi les plus importants conseillers en art, elle a notamment constitué la fameuse Collection Jumex à Mexico, devenue musée en 2013.

Comment voyez-vous votre métier ?
On me sollicite pour ma rigueur et mon côté engagé. Mais je ne réponds pas forcément à la demande car je suis très radicale : si quelqu’un veut faire une collection qui ne correspond pas à mon regard, je préfère dire tout de suite que je ne suis pas la bonne personne. J’ai un profil, je viens du minimalisme et de l’art conceptuel et mon regard se décline à partir de cela, même pour la jeune génération qui m’intéresse beaucoup.
J’estime qu’un conseiller doit avoir une vraie position. D’une part on est mieux identifié : lorsque des maisons de ventes m’appellent pour me proposer une œuvre, elles savent qu’elle rentre dans ma vision, ma pensée, mon esthétique. Et d’autre part on ne peut pas tout connaître : je ne serais par exemple pas apte à construire une collection d’art chinois, ne connaissant pas assez bien cette scène-là. Au fond ce qui m’intéresse, c’est l’art, et je déplore aujourd’hui la spéculation.

Comment travaillez-vous avec vos clients ?
Faire une collection c’est comme écrire une histoire, un roman : je ne vais donc pas y mettre des mots qui ne me ressemblent pas. Il faut qu’il y ait une connexion intellectuelle entre le client et moi, sinon je me bloque, je me referme. Comme je ne travaille qu’avec six ou sept collectionneurs, c’est possible. Et lorsqu’on arrive à être en osmose, à ne faire qu’un, c’est magique, c’est un échange très fort, un rapport très affectif – mais cela s’arrête là, après chacun rentre chez soi ! Mon rôle est d’orienter, de montrer ce qui m’intéresse et me paraît important. Je suis le petit poisson pilote devant le gros requin. Je lui suggère de ne pas manger tel ou tel poisson sinon il va s’étrangler.

Les foires sont-elles aujourd’hui pour vous les meilleurs endroits pour trouver les meilleures pièces ?
Parfois. Même si, à mon avis, pour trouver les meilleures pièces, il faut aller dans les galeries. Il faut s’asseoir, prendre le temps de regarder les œuvres, de discuter avec le galeriste, de consulter les livres. J’aime regarder un ensemble, comprendre l’œuvre dans sa globalité. L’échantillon ne m’intéresse pas.
Pour moi, les galeristes sont essentiels. Ce sont eux qui transmettent le discours, qui défendent l’artiste, qui le cadrent, lui font son parcours. Ils ont un courage étonnant, ils investissent beaucoup de temps, d’énergie, d’argent, ils ont une vision. Un artiste n’existe pas sans galerie et vice et versa. Et je déplore les artistes qui ne sont pas fidèles à leur galerie. Je suis radicale sur ce point, je me suis même fâchée avec certains qui ne respectaient pas leurs galeristes. J’ai remarqué qu’un artiste infidèle a souvent un parcours médiocre.

Vous êtes pourtant une fervente d’Art Basel. N’est ce pas contradictoire avec ce que vous venez de dire ?
Non, parce que Bâle est à part, c’est la meilleure foire. Art Basel est incomparable et incontournable parce qu’elle attire ce qu’il y a de mieux dans tous les domaines du milieu de l’art. Des collectionneurs de très grande qualité, les meilleurs galeristes, les curateurs, tous les acteurs du monde entier s’y retrouvent. C’est en plus une manifestation d’une très grande rigueur. Bâle, c’est le feu d’artifice. Cela dit, à titre personnel, j’apprécie les foires plus petites, comme Arco à Madrid ou Zona Maco à Mexico où il y a peu de spéculation et où l’on peut prendre son temps. Et je le répète, là où je me sens le mieux, c’est dans les galeries.

Comment travaillez-vous dans le cadre d’une foire comme Art Basel ?
Tout le monde attend Bâle, mais c’est une foire compliquée. Il faut savoir regarder, étudier. Nous la préparons en amont : nous contactons les galeries avec lesquelles nous travaillons pendant l’année pour savoir ce qu’elles vont exposer. Nous avons donc un aperçu, même s’il est forcément incomplet. À partir de là, nous faisons une sélection que nous envoyons à nos clients. Nous leur proposons les œuvres que nous avons retenues et qui peuvent leur correspondre de manière, s’ils sont intéressés, à prendre rendez-vous avec les galeries dès l’ouverture. Car dès que les portes s’ouvrent, c’est une course effrénée pour aller voir en vrai ce qu’on a retenu !

Vous avez ainsi beaucoup de concurrence…
Ah oui ! Dès l’ouverture, c’est une véritable mêlée, comme dans un match de football américain. C’est tout aussi violent. On arrive tous sur les stands plus ou moins en même temps, les galeries ayant envoyé à tous les bons advisors [conseillers en art] et à tous leurs grands collectionneurs leurs previews [invitations de pré-vernissage]. Et on a beau avoir pris rendez-vous à 11 h 05 min pour voir une œuvre, tout le monde court et arrive en même temps pour la même pièce. Cela dit, de ma génération nous ne sommes qu’une dizaine, nous nous entraidons et avons un très grand respect mutuel.

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<b>Légende Photo :</b><br/>Patricia Marshall. © Photo : F.P.</p></div></body></html>

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°415 du 6 juin 2014, avec le titre suivant : Patricia Marshall : « une course effrénée dès l’ouverture »

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