RÉCIT

Pierre-Jean Chalençon d’Austerlitz à Waterloo

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 11 juin 2025 - 1506 mots

Ce spécialiste de Napoléon – et personnalité médiatique controversée – n’avait jamais imaginé devoir un jour se séparer de sa collection constituée pendant quatre décennies. C’était sans compter ses déboires financiers.

Pierre-Jean Chalençon © Joel Saget / AFP
Pierre-Jean Chalençon.
© Joel Saget / AFP

Pierre-Jean Chalençon, le collectionneur haut en couleur passionné par Napoléon et le premier Empire, et connu également pour ses frasques télévisuelles, est contraint de se séparer de sa collection constituée au fil de quarante années. Un emprunt de 10 millions d’euros contracté auprès de Swiss Life pour l’acquisition du palais Vivienne (Paris-2e), emprunt qu’il n’a pu rembourser, a conduit la banque à opérer une saisie conservatoire en vue de la vente judiciaire du bien. Le palais était destiné à abriter sa collection et y développer une activité événementielle. Dans la foulée, la maison de ventes Sotheby’s a annoncé la dispersion de sa collection le 25 juin.

Un parcours atypique

Né en 1970 d’un père journaliste, et d’une mère mannequin, Pierre-Jean Chalençon découvre sa passion pour Napoléon à l’âge de 7 ans quand ses parents lui offrent une bande dessinée sur l’Empereur. À 17 ans, il acquiert sa première pièce (qu’il possède encore) : une lettre manuscrite de l’Empereur, financée « en vendant [s]a Vespa rouge », et prend l’argent de son prêt étudiant pour acheter une mèche de cheveux. Sans fortune personnelle, il se met acheter de petits objets et les revend pour acquérir des objets plus importants. Sa rencontre avec Charles Trenet (1913-2001) en 1987, dont il a indiqué dans une émission de télé qu’il y avait eu entre eux un amour platonique, a sans doute joué un rôle dans son parcours. « On a coutume de dire que le plus dur est de faire son premier million. Après, ça fait boule de neige. Chalençon a eu une période new-yorkaise où il a dû faire de gros coups. À moins qu’il ait bénéficié de la succession de Trenet… ce dont il s’est défendu », raconte un ancien ami.

Sa rencontre avec le commissaire-priseur Jean-Pierre Osenat il y a une vingtaine d’années a aussi joué un rôle-clé. Il a contribué au succès des ventes « Empire à Fontainebleau », auxquelles il participe au début en tant que consultant. « Il était un peu juge et partie, il vendait des objets, en achetait d’autres. Il y a peut-être eu un système de bourrage d’enchères et puis il a eu accès aux plus grands clients de l’étude », estime un autre ancien proche. C’est à cette époque, en 2006, qu’il crée un cabinet de courtage (Chalençon Empire – fermé en 2019), tout en en profitant pour exposer sa collection en Chine, aux États-Unis et même en Australie, « ce qui lui a rapporté beaucoup d’argent », note un ancien collaborateur.

En l’espace de quarante ans, Pierre-Jean Chalençon, parti de rien, s’est ainsi constitué une impressionnante collection – composée de 1 500 à 2 000 souvenirs historiques liés à Napoléon Ier et son entourage. « Je pense qu’en très bon connaisseur du marché il a très bien vendu de nombreuses pièces et au bon moment, notamment quand les Russes sont arrivés sur le marché au milieu des années 2000, témoigne l’un de ses anciens acolytes. Il fait partie de ces collectionneurs qui achètent et revendent pour racheter mieux. » Sa gouaille a fait le reste. « C’est un véritable puits de science sur Napoléon, il peut raconter n’importe quelle bataille en un seul souffle, dit de lui Louis-Xavier Joseph, à la tête du département mobilier et objets d’art de Sotheby’s Paris. Il pourrait faire un one-man-show à la [Fabrice] Luchini. Il est absolument bluffant quand il parle du personnage, il est tout d’un coup complètement animé. »

Une vente judiciaire pour son palais

En 2015, il acquiert le palais Vivienne pour un montant de 6 millions d’euros. « J’y ai fait de gros travaux et je l’ai lancé dans l’événementiel. Puis le Covid est arrivé », relate celui qui aime se faire appeler « l’Empereur ». Déjà dans une situation financière délicate à la suite d’un contrôle fiscal, et dépensant plus qu’il ne gagnait, il avait dû vendre une partie de sa collection en 2016. La pandémie a affecté ses revenus engendrés par la location d’espaces, le contraignant à nouveau à se séparer de pièces de sa collection en 2019 ou encore en 2021, puis du palais lui-même. Le bien, proposé pour un montant aux alentours de 12 millions d’euros, n’a pas trouvé acquéreur et la banque a demandé sa vente forcée. Mais, après plusieurs reports, son avocat Paul Buisson soutient que ce n’est plus d’actualité : « Le 19 juin, nous allons faire le point sur le refinancement de la dette, indépendamment de la vente chez Sotheby’s, et le juge va renvoyer au plus tôt à octobre. D’ici là, il n’y aura pas d’adjudication. » Pour l’heure, l’espace est loué à la société Morning. « J’ai trouvé des refinancements donc je vais voir si je garde le lieu ou si je le vends », affirme l’intéressé.

Pierre-Jean Chalençon vend-il sa collection pour renflouer les caisses ? Il se défend d’y être contraint. « Je vends car la passion n’est plus là. Collectionner pour qui ? pour quoi ? La peur d’avoir un dégât des eaux, d’être cambriolé, la non-reconnaissance du ministère de la Culture. Cette masse d’objets est devenue un fardeau. Maintenant je veux penser à moi. Je ne dis pas que je ne vais pas garder quelques objets, d’ailleurs je continue à me faire plaisir, j’ai acheté récemment un coquetier de [l’impératrice] Marie Louise. » Et de poursuivre : « À bientôt 55 ans, j’ai eu les objets les plus mythiques, dont certains sont désormais à Fontainebleau, à la Malmaison, à Versailles. Qu’est-ce que je peux avoir de plus ? »

Le fan de Napoléon en veut à la France de ne pas lui avoir tendu la main. « Rien qu’une aide, une récompense, un remerciement d’avoir rassemblé tous ces objets historiques. Non, à part des contrôles fiscaux, je n’ai même pas eu la Légion d’honneur ! »

Si ses apparitions télévisées, notamment dans l’émission « Affaire conclue », sur France 2 de 2017 à 2020, lui ont permis de se faire connaître du grand public, sa personnalité exubérante (allant jusqu’à se travestir en femme sous le nom de « Caroline de Rivoli »), son look original (chevelure à la Polnareff, grosses bagues aux doigts dont celle du sacre), mais surtout ses propos provocateurs en ont agacé plus d’un. En dehors de ses frasques qui ont suscité la polémique (une photo avec Dieudonné lors d’un anniversaire de Jean-Marie Le Pen en 2020, de supposés dîners clandestins pendant la pandémie…), le Covid et ce palais Vivienne (impossible à chauffer, avec de lourdes charges) l’ont rattrapé. « Sa médiatisation a causé sa perte. Il a été outrancier dans tous les domaines et cela n’était pas du goût du milieu feutré des amateurs de Napoléon. Le temps passé à faire ses émissions, où il n’était plus à chiner et à trouver des clients, lui a causé du tort », estime un ex-proche. Une autre de ses connaissances – plusieurs interviewés ont requis l’anonymat – décrit en ces termes le personnage : « Il a de nombreux défauts mais c’est quelqu’un qui achète avec ses tripes. Il a un vrai cœur de collectionneur. Mais bon, il fait partie des collectionneurs avec qui c’est compliqué, qui mettent beaucoup de temps à payer… C’est un gars sympathique quand vous êtes seul à dîner avec lui mais dès qu’il y a une tierce personne, il est en représentation. »

Sotheby’s préféré à Osenat

Sotheby’s va donc disperser 115 lots de sa collection abordant toutes les grandes étapes de la vie de Bonaparte (estimation 6 M€) avec des pièces majeures, comme un bicorne offert au général Mouton lors de la bataille d’Essling en 1809 (est. 500 000 à 800 000 €) ou un fauteuil de trône impérial, son cachet personnel en or et ébène pris dans sa berline au soir de la bataille de Waterloo (est. 150 000 à 250 000 €), son contrat de mariage avec Joséphine ou encore un fragment du manteau qu’il portait à la bataille de Marengo. Une vente qui a nécessité six mois de travail, mobilisé 25 personnes… et qui est passée sous le nez de Jean-Pierre Osenat. « Sotheby’s a un carnet d’adresses avec les plus gros clients ! C’est la seule vente de l’année de Sotheby’s Paris qui va faire une tournée à Hongkong et New York. J’ai fait la fortune d’Osenat et il ne m’a jamais demandé de m’associer. Je ne fais que lui rendre la monnaie de sa pièce !, se justifie Pierre-Jean Chalençon. Là, c’est une maison internationale. On ne pourra pas me dire que j’ai “bourré la vente”. »

Il aimerait que la collection soit vendue en un bloc ou acquise par un musée. Il est d’ailleurs parti à Hongkong et New York à la mi-mai pour rencontrer des acheteurs, avec lesquels il dit être en pourparlers… Quoi qu’il en soit, Jean-Pierre Osenat s’en lave les mains : « C’est la vie. Je ne regrette rien car rien n’est simple dans cette affaire et je suis bien content d’être en dehors. Et puis je vais avoir une vente encore plus belle, celle des collections Walewski [des collections impériales, ndlr] quelques jours avant. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°657 du 6 juin 2025, avec le titre suivant : Pierre-Jean Chalençon d’Austerlitz à Waterloo

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