Droit - Ventes aux enchères

Mandat de vente aux enchères et obligation de paiement

Par Éléonore Marcilhac, avocate à la cour · Le Journal des Arts

Le 29 septembre 2021 - 771 mots

Pour la cour d’appel de Paris, l’opérateur ne peut directement engager une action en paiement du prix d’adjudication contre un acquéreur en l’absence de mandat.

Les opérateurs de ventes volontaires se trouvent parfois confrontés à des adjudicataires récalcitrants ne souhaitant plus acquérir l’œuvre et en payer le prix. C’est la situation à laquelle a dû faire face une maison de ventes avec un galeriste.

Plus précisément, lors d’une vente aux enchères publiques organisée à Drouot en 2015, un galeriste s’était porté acquéreur par téléphone d’une huile sur toile pour 8 500 euros hors frais. Se présentant vers 19 heures pour régler son lot par carte bancaire, on lui indiqua que le paiement n’était plus possible. Cependant, il repartit avec l’œuvre. Quatre jours plus tard ne souhaitant plus acquérir l’œuvre qui, selon lui, était un « procédé » et non une huile sur toile, il la restitua à l’étude tout en refusant d’en payer le prix.

L’opérateur assigna alors le marchand en son nom propre ainsi que la galerie en paiement du prix de vente. Toutefois, il fut débouté de ses demandes par le tribunal de grande instance de Paris qui, constatant qu’il ne justifiait d’aucun mandat de vente, le déclara irrecevable pour défaut de qualité à agir en recouvrement du prix.

Estimant au contraire avoir qualité et intérêt pour agir directement contre l’acquéreur défaillant, l’opérateur fit appel de cette décision. Pour lui, en effet, étant responsable à l’égard du vendeur en vertu de l’article L.321-14 du Code de commerce, sa légitimité à agir contre l’acquéreur défaillant pour obtenir le paiement du prix de vente ne saurait être remise en cause, ceci même en l’absence de communication du mandat.

Pour le galeriste et sa société, en revanche, la production en appel in fine d’un tel document ne permet pas pour autant à l’opérateur de s’en prévaloir contre eux, puisqu’il ne rapporte pas la preuve d’être subrogé dans les droits du vendeur en l’ayant désintéressé, ni ne justifie d’un mandat d’agir en justice pour le compte de la propriétaire de l’œuvre. Par ailleurs, pour eux, le courrier produit tardivement par l’opérateur et daté de 2021, provenant d’un héritier de la venderesse décédée « l’invitant à poursuivre la procédure relative à l’acheteur indélicat du tableau » rapporte notamment la preuve que la maison de ventes ne disposait d’aucun mandat pour agir en justice et à tout le moins que le mandat aurait pris fin au décès de la propriétaire de l’œuvre.

Le 1er juin 2021, la cour d’appel de Paris débouta également l’opérateur, confirmant la décision de première instance.

Se faire payer avant toute chose

En revanche, pour la cour, la recevabilité de l’action en paiement du prix d’adjudication du commissaire-priseur dépend uniquement de l’étendue du mandat légal de l’opérateur de vente volontaire.

À cet effet, elle est revenue sur les dispositions de l’article L.321-14 du code précité, selon lesquelles l’opérateur responsable à l’égard du vendeur et de l’acheteur de la représentation du prix et de la délivrance des biens vendus ne peut délivrer une œuvre adjugée à l’acquéreur qu’une fois le prix versé entre ses mains ou après avoir obtenu toute garantie sur le paiement du prix. Elle a par ailleurs rappelé qu’à défaut de paiement, deux options peuvent être envisagées : soit l’œuvre est remise en vente sur réitération des enchères dans les trois mois à la demande du vendeur, soit la vente est résolue de plein droit.

En conséquence, pour retenir le défaut de qualité et d’intérêt à agir du commissaire-priseur, elle a relevé que l’opérateur n’avait fait aucune avance sur prix, ni de paiement à la venderesse ce qui lui aurait permis de se subroger dans les droits de cette dernière. L’œuvre, en outre, lui ayant été restituée, il pouvait la rendre à sa propriétaire. Enfin, elle a estimé que le courrier produit en 2021 émanant d’un supposé héritier ne constituait pas un mandat spécial conféré a posteriorià l’étude pour mener l’action judiciaire contre l’acquéreur, « du fait de sa totale imprécision et de sa tardiveté ».

Dès lors, « faute de pouvoir tant se prévaloir de son mandat légal d’opérateur, que justifier d’une subrogation dans les droits de la venderesse, ou exciper d’un mandat spécial de représentation en justice, la société [de vente volontaire] n’a ni qualité ni intérêt pour agir en paiement du prix d’adjudication qu’elle réclame [à la galerie et au marchand] » ; la cour précisant par ailleurs que la vente était a priori résolue, le délai de trois mois étant expiré.

Ainsi, à moins d’un mandat légal ou spécial, ou d’être subrogé dans les droits du vendeur, le commissaire-priseur ne peut agir en paiement du prix de vente à l’encontre d’un acquéreur indélicat.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°574 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : Mandat de vente aux enchères et obligation de paiement

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