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Les troublants tableaux chinois de Thomas Ruff

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 16 février 2021 - 561 mots

PARIS

Le photographe allemand s’approprie les images de la propagande maoïste en les soumettant à un traitement qui ne réduit en rien leur séduction première.

Paris. Pour Thomas Ruff, « une photographie n’est pas seulement une photographie, mais une affirmation. Pour vérifier la justesse de cette affirmation, une seule photo ne suffit pas ; je dois la vérifier sur plusieurs photos ». Le sujet de la dernière série de l’artiste allemand, « Tableaux chinois », ne déroge pas à ce principe. Dévoilée pour la première fois lors de la rétrospective que lui a consacrée le K20, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, à Düsseldorf (du 10 septembre 2020 au 7 février 2021), la série est présentée, pour quelques-unes de ses pièces phares, à la galerie David Zwirner, à Paris.

Qu’elle montre Mao dans un avion privé, absorbé dans la relecture d’un discours, ou un bateau de guerre au pont peuplé de jeunes militaires attentifs aux paroles de leur commandant, l’image de propagande, ici retraitée numériquement et tirée en grand format, frappe l’œil. Le florilège d’images valorisant Mao et le régime communiste chinois explore tous les fleurons de l’époque : portrait officiel du Grand Timonier, grande parade militaire, danseuses du ballet de l’Opéra de Pékin, fleur de lotus…

Thomas Ruff n’est pas le premier artiste à s’approprier ce type d’images glorifiant Mao Zedong et le régime communiste, largement diffusées en leur temps en Chine populaire et dans les publications destinées à l’Occident. Lui-même le rappelle en précisant que le titre « Tableaux chinois » est repris de celui donné par Erró à ses « Tableaux chinois » composés entre 1967 et 1974. Soit au cours de la dernière partie de la présidence Mao Zedong, à une époque où les mouvements maoïstes battent leur plein en Europe et où la question de l’image de propagande ne se pose pas dans les mêmes termes qu’aujourd’hui. La vision critique d’Erró ne manquait alors pas, et ne manque toujours pas, de panache.

Cinquante ans plus tard, l’appropriation par Thomas Ruff de ces images, désormais définies comme des images de propagande, ne peut être décontextualisée de l’époque où elles sont produites, avec ce que l’on sait désormais de ce régime de terreur et de mensonges. Elle ne peut davantage être dissociée des examens successifs menés par Thomas Ruff sur tel ou tel genre d’images. De fait, avec « Tableaux chinois », Ruff poursuit son exploration de l’image de propagande entamée avec « Zeitungsfotos », une série réalisée entre 1981 et 1991 à partir de photographies issues de quotidiens et hebdomadaires de langue allemande qu’il reproduit sans légendes et en double colonne. L’image séparée de sa fonction interroge sa valeur informative. « Plakate », réalisée quant à elle en 1996, à partir d’affiches de propagande russe des années 1920-1930, s’est inscrite dans la même veine. « Tableaux chinois » prolonge la réflexion en réactivant la question de la manipulation des images et du photomontage. Pour ce faire, Ruff use des techniques numériques de son temps, amplifie l’effet de la pixellisation sur certaines parties de l’image sans pour autant la déformer.

Funeste contexte

Cet examen critique auquel l’artiste soumet l’esthétique de l’image, renforcé par le tirage en très grand format, ne réduit en rien la photogénie de la scène et sa force de frappe. Au contraire, la déstabilisation n’est que légère. D’où le trouble car la séduction de ces images ne peut plus être dissociée des ravages humains d’hier et atteintes aux droits de l’homme d’aujourd’hui par le pouvoir chinois..

Thomas Ruff : tableaux chinois,
jusqu’au 6 mars, galerie David Zwirner, 108, rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°560 du 5 février 2021, avec le titre suivant : Les Troublants tableaux chinois de Thomas Ruff

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