Ventes aux enchères

ENQUÊTE

Les montres de collection, un marché dynamique

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 2 mars 2021 - 1166 mots

L’accélération, sous l’effet de la pandémie, des ventes en ligne, a profité aux montres-bracelets, devenues des objets de collection très prisés. Le résultat des maisons de ventes a bondi en 2020 avec l’arrivée d’une nouvelle génération de collectionneurs.

Patek Philippe, Grandmaster Chime à boîtier réversible, vendue par Christie's Genève pour 31 M$ dans le cadre de la vente caritative Only Watch en novembre 2019. © Christie's Images Ltd
Patek Philippe, Grandmaster Chime à boîtier réversible, vendue par Christie's Genève pour 31 M$ dans le cadre de la vente caritative Only Watch en novembre 2019.
© Christie's Images Ltd

Monde. C’est à la fin des années 1970 et au début des années 1980 que la montre-bracelet est devenue objet de collection, quand l’horlogerie suisse, abandonnant les montres mécaniques, a pensé – à tort – que la précision des montres à quartz serait l’avenir. « Beaucoup de gens ont regretté la disparition de la montre mécanique artisanale ; c’est à ce moment-là que quelques Européens et Américains ont commencé à collectionner la montre-bracelet », rappelle le fameux commissaire-priseur horloger Aurel Bacs (Phillips en association avec Bacs & Russo). C’est ainsi que le marché des ventes aux enchères de montres a débuté à Genève et qu’il n’a, depuis, cessé de prendre de l’ampleur. « Les premières enchères records sont arrivées à la fin des années 1990, mais le marché a littéralement explosé ces dernières années avec la digitalisation du marché de l’art », explique l’expert Geoffroy Ader. Les sites dédiés ou blogs influents n’ont fait qu’accentuer la tendance. Les propriétés intrinsèques à l’objet lui-même ont également participé à l’essor du marché : petite, discrète, facile à stocker, objet du quotidien, pouvant relever du design tout en renfermant une précieuse mécanique, la montre est devenue l’objet de collection par excellence. Enfin, son caractère universel a renforcé le mouvement : « C’est un marché qui n’a pas de barrière culturelle, et c’est ce qui fait sa force aux enchères », souligne Geoffroy Ader.

Aujourd’hui, « le chiffre d’affaires global des ventes aux enchères de montres dans le monde avoisine les 500 millions de dollars », précise l’expert. En 2020, les chiffres ont explosé. « C’est une année charnière. Nous ne reviendrons pas en arrière sur les habitudes d’avant », ajoute-t-il. Phillips, la maison de ventes leader dans le domaine, a atteint un produit de vente de 133 millions de dollars [plus de 110 M€], « le meilleur résultat dans la spécialité depuis la naissance des ventes aux enchères de montres, toutes maisons confondues ! », se réjouit Aurel Bacs. Même constat chez Sotheby’s avec un volume de vente de 97,5 millions de dollars en 2020, dopé par les ventes en ligne, – au nombre de 140 cette année-là – qui ont généré 47,4 millions de dollars, contre 9 millions en 2019. « La digitalisation de nos ventes a toujours fait partie de notre stratégie mais la pandémie a accéléré le rythme de nos innovations, entre lancement de nouveaux formats (ventes hebdomadaires ou ventes consacrées à un seul lot), modification du calendrier pour offrir des montres toute l’année et la nouvelle plateforme d’e-commerce à prix fixes, “Buy Now” », détaille Benoît Colson, spécialiste chez Sotheby’s Paris. Cette offre digitale a permis à la maison de ventes d’attirer de nouveaux clients, représentant 50 % des acheteurs en 2020 (+ 20 % par rapport à 2019), mais aussi une nouvelle génération de collectionneurs : « 40 % des participants à nos ventes étaient âgés de moins de 40 ans », précise le spécialiste. Chez Artcurial aussi, le département horlogerie a enregistré une progression de 12 % en cette année de pandémie (5,5 M€ au total). Notons que l’adjudication médiane est également en hausse : environ 100 000 dollars chez Phillips, quand elle est de 21 000 dollars (+50 %) pour les ventes en ligne chez Sotheby’s.

Ventes en ligne et réputation de l’expert

« Début mars [2020], avec le confinement, je me suis dit que c’était la fin. Mais, étonnamment, les clients ont continué de m’appeler jour et nuit et je me suis rendu compte qu’ils étaient toujours en demande. Ils avaient plus de temps pour augmenter à la fois leurs connaissances et leur collection », relate Aurel Bacs. Phillips a finalement organisé une session de ventes en juin à Genève, avec seulement une dizaine de collectionneurs dans la salle. « Et là, le nombre d’enchérisseurs a explosé, doublant par rapport à d’habitude, avec des enchères records pour Rolex et Patek Phillippe. Une des plus belles ventes de ma carrière ! », se félicite Aurel Bacs. Plus que jamais, la montre est apparue comme une valeur refuge. Le contexte sanitaire a en outre permis d’accélérer des tendances. Désormais, alors même qu’ils n’ont jamais touché l’objet, les collectionneurs n’hésitent plus à enchérir en ligne sur des pièces proposées au-delà de 300 000 dollars – quand, il y a encore peu de temps, ce prix n’excédait pas les 5 000. Christie’s a reporté une grande partie de ses ventes sur Internet, affichant une augmentation de 211 % de la valeur offerte en ligne, tandis que Sotheby’s a enregistré l’été dernier le record de la montre la plus chère vendue en ligne, une Rolex Daytona JPS qui a atteint 1,5 million de dollars.

La fiabilité et la réputation de l’expert n’ont jamais autant compté – la confiance étant un élément primordial dans les ventes virtuelles. « Je suis prêt à acheter une montre que je n’ai pas vue si Aurel Bacs me dit “elle est vraiment bien, vas-y”. J’achète les yeux fermés avec lui », confie un collectionneur. « En ligne, c’est quitte ou double. Cela dépend vraiment de l’expert qui est derrière la vente », renchérit l’horloger parisien Antoine de Macedo.

Marques et modèles recherchés

Le duo gagnant des enchères reste Patek Philippe et Rolex, représentant plus de 80 % du secteur. Ces marques incarnent l’excellence et leur ADN est resté inchangé depuis leur création. Le record absolu est d’ailleurs détenu par Patek Philippe avec la « Grande Sonnerie en acier » (31 M$, novembre 2019, Christie’s Genève). Elle est venue détrôner la « Henry Graves Supercomplication », de la même marque, vendue 24 millions de dollars chez Sotheby’s Genève en 2014. Elle-même avait supplanté la Rolex Daytona « Paul Newman » partie pour 17,8 millions de dollars chez Phillips New York en 2017.

D’autres marques sont également prisées des collectionneurs, comme Audemars Piguet, Jaeger-LeCoultre, Omega, IWC, Zenith, Le Brassus. « Rolex Daytona, Patek Philippe “Nautilus”, Audemars Piguet “Royal Oak” et enfin F.P. Journe “Chronomètre à résonance”, voilà les modèles les plus recherchés aujourd’hui par les collectionneurs au niveau mondial », indique Geoffroy Ader. Autre tendance du moment, la montée en puissance de nouveaux horlogers, comme Philippe Dufour – qui a établi un record en novembre 2020 chez Phillips pour une « Simplicity » en platine (1,2 M€) –, François-Paul Journe ou encore le jeune Rexhep Rexhepi.

La qualité, la rareté et la provenance guident les collectionneurs dans leur achat, tout comme une complication intéressante, le mécanisme, la taille, la forme, l’esthétique générale et le bon état de conservation. La valeur entre en ligne de compte, bien sûr, mais, précise Aurel Bacs, « il n’est pas nécessaire d’être millionnaire pour être collectionneur de montres. On peut en trouver une de qualité avec une belle histoire à quelques centaines d’euros ». Quelques professionnels déplorent cependant la financiarisation du marché : « Aujourd’hui, le marché est devenu assez spéculatif. Certains acheteurs – et c’est encore plus vrai compte tenu du contexte – voient les montres comme étant un pur produit de placement financier, et ça, je le regrette », confie Antoine de Macedo.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°561 du 19 février 2021, avec le titre suivant : Les montres de collection, un marché dynamique

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