Droit - Ventes aux enchères

Les conséquences de l’aménagement contractuel du droit de suite

Par Éléonore Marcilhac, avocate à la cour · Le Journal des Arts

Le 13 janvier 2019 - 874 mots

PARIS

La validation définitive par la Cour de cassation de la possibilité de faire payer le droit de suite à l’acheteur va entraîner des tensions sur le marché.

Christie's Saint Laureant-Bergé droit de suite
Lors de la vente Saint Laurent-Bergé, le droit de suite incombait à l'acheteur
© Photo : Christie's

Le 9 novembre 2018, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a enfin mis un point final au débat sur le transfert de la charge du coût du droit de suite à l’acheteur en cas de revente d’une œuvre d’art graphique ou plastique. En principe, depuis la réforme de 2006, la charge du paiement du droit de suite repose sur le vendeur qui en est débiteur ; alors que la responsabilité de son paiement relève du professionnel du marché de l’art, garant du versement des sommes dues aux bénéficiaires de ce droit selon l’article L122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle (CPI). Cependant, dès 2008, et notamment lors de la vente Saint Laurent-Bergé de 2009, la société Christie’s France avait inséré dans ses conditions générales de vente (CGV), une clause transférant le paiement du droit de suite à l’acquéreur. Considérant que cela constituait un acte de concurrence déloyale, le Syndicat national des antiquaires, puis le Comité professionnel des galeries d’art ont assigné la maison de ventes afin d’obtenir la nullité de cette clause. Or après neuf ans de procédure et en s’appuyant sur la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 février 2015, la Cour de cassation retient que l’alinéa 3 de l’article L122-8 du CPI « ne fait pas obstacle à ce que la personne redevable du droit de suite, que ce soit le vendeur ou un professionnel du marché de l’art intervenant dans la transaction, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l’acheteur, que celle-ci supporte définitivement, en tout ou en partie, le coût du droit de suite, pour autant qu’un tel arrangement contractuel n’affecte pas les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l’auteur ».

Des effets non négligeables

En autorisant ainsi le transfert de la charge du droit de suite à l’acheteur ou à toute autre personne sous réserve que le professionnel du marché de l’art reste redevable de son paiement envers l’auteur de l’œuvre, les conséquences risquent d’être non négligeables sur le marché de l’art français. D’un côté, il sera plus facile d’attirer les collectionneurs souhaitant vendre leurs œuvres avec l’intervention d’un professionnel du marché de l’art. Mais de l’autre, elle va créer une tension entre les maisons de vente qui auront opté pour cette faculté et celles qui auront fait le choix de ne pas y procéder. Il risque d’en être de même avec les galeristes, car lors de la revente des œuvres, ces derniers ne pourront que difficilement mettre à la charge de l’acquéreur le droit de suite calculé sur le prix de vente perçu, souvent déjà négocié par l’acheteur. Par ailleurs, ils pourront être amenés à payer deux fois ce droit : une fois lors de l’achat en salle des ventes et une deuxième fois lors de sa revente pour rester concurrentiel. Enfin coté acheteur, cette faculté risque d’être une source de contentieux pour manquement à l’obligation de transparence des prix – à moins d’être expressément mentionnée dans les CGV et acceptées par ce dernier –, puisqu’il devra payer un droit de suite moyennant un taux dégressif en fonction du prix d’adjudication hors taxes en plus de sa commission acheteur, ce qui en pleine enchère est pour le moins difficile à estimer pour tout consommateur. On relèvera que le transfert du droit de suite à l’acquéreur n’a toutefois pas freiné les ardeurs de ces derniers lors de la vente Saint Laurent-Bergé, puisque plus de 300 000 euros ont été versés à ce titre et que pour l’auteur de l’œuvre, seul le professionnel du marché de l’art reste garant de son versement.

Quel est le montant du droit de suite ?

Agréée par le Ministère de la Culture, l’Adagp est informée pour la France de toutes les ventes, à partir de 750 euros, d’auteurs membres ou non membres pouvant bénéficier du droit de suite.
Source ADAGP

Le prix de vente servant d’assiette pour la perception du droit de suite est, hors taxes, le prix d’adjudication (pour les ventes aux enchères publiques) ou le prix de cession perçu par le vendeur.

Le taux applicable est de :

- 4 % pour la tranche du prix jusqu’à 50 000 € (2 000 € max.)
- 3 % pour la tranche du prix comprise entre 50 000,01 et 200 000 € (4 500 € max.)
- 1 % pour la tranche du prix comprise entre 200 000,01 et 350 000 € (1 500 € max.)
- 0.5 % pour la tranche du prix comprise entre 350 000,01 et 500 000 € (750 € max.)
- 0.25 % pour la tranche du prix excédant 500 000,01 euros. (3 750 € max.)

NB : le montant du droit de suite est plafonné à 12 500 euros

Source ADAGP
 

Exemples de montants à régler pour le droit de suite :

Prix de vente H.T.Droit de suite à régler
1 000 €
40 €
10 000 €
400 €
100 000 €
3 500 €
500 000 €
8 750 €
1 000 000 €
10 000 €
10 000 000 €
12 500 €

 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°514 du 4 janvier 2019, avec le titre suivant : Les conséquences de l’aménagement contractuel du droit de suite

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