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L’actualité vue par Jean-Gabriel Mitterrand

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 31 mars 2000 - 1226 mots

PARIS

Après avoir participé à la création d’Artcurial en 1975, Jean-Gabriel Mitterrand a ouvert en 1987, rue Jacques-Callot à Paris, la JGM. Galerie, un espace principalement consacré à la sculpture contemporaine. Celle-ci expose les œuvres d’Igor Mitoraj jusqu’au 15 avril. Parallèlement, Jean-Gabriel Mitterrand organise de nombreuses expositions en France et à l’étranger. Il commente l’actualité.

Cette année est organisé le premier “Parcours Saint-Germain-des-Prés”. Pensez-vous que cette exposition puisse dynamiser votre quartier, qui semble de plus en plus déserté par les galeries et les artistes ?
Je suis spontanément opposé à cette initiative, à laquelle aucune galerie de Saint-Germain n’a été associée. Quel que soit le très bon choix des artistes sélectionnés pour ce projet, je ne pense pas que cela puisse les servir d’exposer dans des boutiques de luxe qui sont, pour la plupart, installées depuis peu et auxquelles il est reproché de détruire l’âme du quartier en prenant la place des librairies et parfois des galeries. L’événement peut dynamiser sans doute la vie commerciale, mais il ne constitue pas un apport culturel durable puisqu’il entretient la confusion des genres entre l’art, la restauration et la mode. C’est une occasion de plus pour les galeries contemporaines de constater qu’elles n’ont pas l’initiative ici, et qu’il faut donc accélérer le mouvement vers d’autres quartiers moins entamés par l’esprit commercial. Après le départ de quelques galeries qui ont laissé la place à des boutiques d’artisanat et même à des supermarchés, il faut bien voir que la force artistique du quartier s’essouffle sérieusement, même si l’on peut encore y trouver une bonne clientèle internationale qui vient également visiter les galeries d’art primitif, d’art d’Extrême-Orient et de mobilier des années 30 à 50. Il y a à Saint-Germain quelques galeries jeunes ou historiques qui font un bon travail pour l’art contemporain, et je suis surpris qu’on ignore leur avis et leur apport quand il s’agit de créer un parcours artistique. Dommage de leur donner davantage l’envie de quitter, elles aussi, le quartier.

Des sculptures sont installées au Palais Royal ou aux Tuileries. Soutenez-vous ces initiatives ?
Je suis partisan de ces initiatives, de la Mairie de Paris avec “les Champs de la sculpture”, et de l’État quand il s’agit des Tuileries et du Palais Royal. Dans tous les cas, je suis non seulement pour mais activement partie prenante, puisqu’à la demande de Solange de Turenne, j’ai favorisé la présence sur les Champs-Elysées d’artistes comme Chadwick, Niki de Saint-Phalle, Tinguely, Takis, Lalanne, Hepworth ; au Palais Royal, je prête une sculpture de Niki de Saint-Phalle pour “L’Homme qui Marche”. Ce type d’action permet de montrer au public la diversité de l’art contemporain. La seule difficulté est d’arriver à un compromis pour que l’exposition soit suffisamment agréable à un large public et de bonne qualité pour constituer un événement artistique. Il faut conjuguer les deux, et cet équilibre n’est pas toujours facile à trouver. Aux Tuileries, la qualité des œuvres et l’importance des artistes présentés sont indiscutables, mais on peut argumenter sur l’installation dans l’espace. Dans les expositions publiques en général, la difficulté est de savoir mettre ensemble des artistes et des œuvres d’expressions différentes et de trouver une harmonie générale. Il y a eu aussi une belle réussite dans le domaine, il y a deux ans : l’exposition Di Suvero, avec plusieurs sculptures monumentales réparties dans Paris.

Les organisateurs de la Fiac en 2000 veulent que les galeries privilégient les monographies d’artistes. Votre opinion ?
Il s’agit d’un principe un peu autoritaire et il est difficile d’imaginer qu’une foire internationale, qui coûte cher à chaque participant, impose des règles aussi contraignantes. Cela dit, le projet a été assoupli puisque seulement les deux tiers du stand seront consacrés à un seul artiste. En ce qui concerne le principe lui-même, je ne le refuse pas. J’ai déjà fait une exposition monographique à la Fiac, avec Soto. Le risque, avec une monographie, est d’ordre financier, puisque l’exposition d’un seul artiste peut ne pas être en phase avec le goût des collectionneurs et des institutions au moment même de l’événement. Cette prise de risque des galeries est cependant un challenge intéressant. Le problème est de se résoudre au choix d’un seul artiste quand on en défend plusieurs. Pour l’image de la Fiac, je conçois parfaitement que ce choix de la monographie, en renforçant l’engagement des galeries, donne une qualité plus muséale à l’ensemble. Ainsi, j’adhère à la nouvelle règle du jeu. Avec les pays invités à la Fiac, il y avait une bonne idée de départ. Mais quand elle s’applique à tous les pays du monde, des inégalités importantes apparaissent d’une année sur l’autre. Et s’il y a obligation de rendre hommage à des pays dans lesquels le nombre des galeries de très bonne qualité est rare, le niveau de la Fiac peut en subir les conséquences. Je pense qu’il serait préférable de stimuler l’arrivée d’un certain nombre de galeries sélectionnées dans le monde chaque année. Le problème de la Fiac est de ne pas avoir suffisamment de grandes galeries américaines, anglaises ou allemandes. C’est dommage de colmater ces manques par des galeries parfois secondaires, simplement parce que leur présence s’inscrit dans une logique d’invitations nationales.

La concession accordée à Paris-Musées pour la gestion commerciale des musées parisiens touche à son terme. Vaut-il mieux la confier à une structure liée à la Mairie de Paris ou à une société totalement indépendante ?
Je n’ai pas d’avis a priori, n’étant pas impliqué dans ce domaine. La RMN ou Paris-Musées sont des groupements qui émanent d’une volonté commerciale et culturelle. Ils sont nés avec des logiques de responsabilités culturelles de la Ville et de l’État, avec une mission de développement de la culture vers le public et un objectif économique. Ma peur serait que l’on confie cette gestion à une société purement économique, commerciale. Il en résulterait une accélération de l’image commerciale et marketing des musées, en poussant vers un libéralisme trop marqué. Il y a alors, j’imagine, des risques de conflits avec les conservateurs. Nous aiderions mieux l’évolution libérale en favorisant la responsabilisation des sociétés et des citoyens dans le domaine culturel, en promulguant une vraie loi sur le mécénat, sur les dations du vivant, et en optant pour la défiscalisation d’une part des achats d’œuvres d’artistes vivants, ce qui permettrait de trouver une nouvelle dynamique en faveur des musées et des artistes. Aussi, peut-être faudrait-il créer des sociétés mixtes avec des apports de personnalités et des financements en partie privés et publics.

Une exposition vous a-t-elle particulièrement intéressé ?
J’ai vu la très belle exposition “Le temps, vite” au Centre Pompidou, qui aurait pu être plus développée parce que c’est un sujet fantastique et merveilleusement traité par Daniel Soutif. J’ai trouvé que la qualité des diplômes de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris était meilleure d’année en année. On pourra puiser dans les sélections du jury des artistes d’avenir, même si cela n’écarte pas les autres. J’ai remarqué principalement Rebecca Young, lauréate du prix Gras-Savoye, Raphaël Renaud, Olivia Touati, Duncan Atherstone Wylie, Patrick Bernier et son Nice Chatroom 2. Je n’ai pas encore vu l’exposition de Douglas Gordon à l’Arc, mais je connais son travail et je suis sûr qu’elle est très intéressante. Sinon, je recommande Anthony Gormley à la galerie Ropac, Jim Dine chez Templon, Kusama chez Pièce Unique, le nouvel espace avec l’accrochage magnifique d’Yvon Lambert. Paris est tout de même vivant !

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : L’actualité vue par Jean-Gabriel Mitterrand

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