La sentence du catalogue raisonné

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 14 novembre 2011 - 826 mots

Si elle constitue l’inventaire scientifique de l’œuvre d’un artiste et pour cette raison fait foi, cette « bible » du marché peut aussi être contestée.

Qu’il soit celui d’un peintre ou d’un sculpteur, le catalogue raisonné d’un artiste constitue l’inventaire le plus complet possible de ses œuvres. « C’est pour cela qu’il a valeur d’authentification », assure Sylvie Brame, de la galerie Brame & Lorenceau. L’enseigne parisienne édite des catalogues raisonnés de plusieurs artistes du XIXe siècle, parmi lesquels Degas (à l’exception de ses bronzes), Toulouse-Lautrec, Rodin (avec le spécialiste Jérôme Le Blay) ou Fantin-Latour (en préparation). La structure en est identique : chaque notice d’œuvre s’attache à mentionner sa provenance et le nom de ses différents propriétaires, sous réserve de leur accord. Pour les professionnels du marché de l’art et les collectionneurs, le catalogue raisonné est donc un outil indispensable.

Qu’en est-il, dès lors, des œuvres qui en sont absentes ? Celles-ci sont soit inédites, soit réputées fausses. « Pour Degas [tableaux, dessins et pastels], nous disposons de vingt classeurs de faux ! », lance ainsi Sylvie Brame. Lorsqu’un catalogue raisonné est en cours de rédaction, le certificat du « cataloguiste » possède la même valeur d’authenticité.

Mais qui se cache derrière la rédaction de ces catalogues ? « N’importe qui peut écrire un catalogue raisonné, explique Sylvie Brame. C’est la reconnaissance des pairs qui compte. » De fait, le travail peut être mené par un historien de l’art, un conservateur de musée, un expert, galeriste ou marchand, un descendant de l’artiste…

La catalogue fait loi
Le cas de l’Institut Wildenstein (Paris), à l’origine de nombreux catalogues raisonnés d’artistes (Renoir, Manet, Monet, Redon, Marquet…), dont une vingtaine est actuellement en préparation, est bien connu du marché de l’art. L’Institut a la réputation de faire la pluie et le beau temps sur le marché de l’art. Un rôle majeur qu’il ne reconnaît pas officiellement, prévenant par cette mention qu’« en aucun cas, ces avis ne peuvent ni ne doivent être considérés comme des certificats d’authenticité ou des certificats d’expertise ; ils ne sont jamais motivés ».

Les propriétaires d’un tableau signé Kees van Dongen, Hiver à Cannes, déboutés à plusieurs reprises de leur demande de faire figurer l’œuvre dans le catalogue raisonné, ont fini par saisir la justice. « Ils désiraient le vendre. Mais n’ayant pas le certificat du comité Van Dongen siégeant au Wildenstein Institute, aucune maison de ventes ne voulait le prendre. Ils n’ont pas eu plus de chance en vente privée », rappelle Me Daphné Juster, leur avocat. Cela malgré le pedigree de la toile, comprenant une exposition à la Biennale des antiquaires de Paris en 1986, un certificat de la veuve du peintre datant de 1998 et une attestation d’un ancien conservateur en chef des musées nationaux. Sans « certificat Wildenstein », le doute continuait de planer. Par une décision de justice, les plaignants ont finalement obtenu que le tableau soit inclus dans le catalogue raisonné en préparation (arrêt du 2 mai 2007 de la 1re chambre de la cour d’appel de Paris). La toile a été vendue le 30 janvier 2008 à Drouot pour 400 000 euros, prix en adéquation avec la cote de l’artiste.

Difficile pour un collectionneur, dans ce contexte, de se forger une opinion sur les catalogues, même si les professionnels estiment que ceux-ci sont fiables à 95 %. Une marge d’erreur existe. Le cas de Gustave Caillebotte est particulier. Le catalogue raisonné des peintures et pastels de l’artiste (éd. Wildenstein Institute) a été mené par la spécialiste reconnue de l’artiste, Marie Berhaut, qui a pourtant commis de nombreuses erreurs d’attribution à la fin de sa vie.

« Au final, il y a près de 10 % de faux dans ce catalogue », estime Sylvie Brame, membre du comité Caillebotte créé à la fin des années 1990 pour rectifier le tir et qui fait désormais autorité. Et de préciser : « Nous corrigeons quand on nous sollicite. Mais nous n’allons pas faire retirer une œuvre dans un catalogue de vente aux enchères. Ce n’est pas notre rôle de dénoncer. Nous conseillons aux maisons de ventes de nous interroger avant la vente. » Ce qu’elles font finalement rarement, fortes de cette référence au catalogue raisonné. « De tels tableaux lorsqu’ils se présentent en vente publique ont un truc qui cloche, souvent visible. Heureusement, ils sont généralement ravalés », rapporte encore Sylvie Brame.

Il en est ainsi de l’huile sur toile L’Île Marande et le petit bras de la Seine (1888) (no 384 dans le Berhaut), composition déséquilibrée, à la technique lourde et auréolée d’une fausse signature, qui fut présentée deux fois au comité, lequel a délivré un avis négatif. La peinture a été proposée en 1998 à New York chez Christie’s, puis en 2005 à New York chez Sotheby’s, à chaque fois sans succès. Depuis dix ans, une dizaine de tableaux de Caillebotte, considérés comme faux par le comité, sont passés aux enchères. Ils n’ont pas tous été invendus…

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°357 du 18 novembre 2011, avec le titre suivant : La sentence du catalogue raisonné

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