Nouvelles technologies

La science au secours de l’expertise

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 14 novembre 2011 - 1192 mots

Les techniques scientifiques, notamment celles du C2RMF, sont de plus en plus sollicitées pour authentifier une œuvre d’art et déjouer le travail des faussaires.

Face à la flambée des prix du marché l’art et devant la multiplication des contrefaçons, le recours aux techniques scientifiques semble désormais indispensable pour authentifier une œuvre. Le seul regard de l’expert n’y suffit plus. Très demandeurs en la matière, les musées sollicitent le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Plus de la moitié des demandes de services déposées auprès du laboratoire de service public installé au Louvre concernent ainsi l’authentification d’une œuvre, le plus souvent en vue de son acquisition. Côté privé, il existe divers petits laboratoires spécialisés, à l’instar du Laboratoire de microanalyse Science des matériaux anciens du patrimoine, installé à Pessac (Gironde). Celui-ci a fait parler de lui au printemps en prouvant l’authenticité d’une statue maya dénoncée comme fausse par le gouvernement mexicain lors d’une vente à Drouot.

Les analyses physico-chimiques sont aujourd’hui nombreuses et les méthodes ont considérablement évolué au cours de ces vingt dernières années. Pendant longtemps, des prélèvements sur les œuvres étaient requises jusqu’à ce que, en 1989, le C2RMF inaugure Aglaé (Accélérateur Grand Louvre d’analyse élémentaire), un système analysant l’ensemble des éléments chimiques d’une œuvre quelles que soient sa taille et sa nature.

Dans le domaine de la peinture, l’analyse des pigments peut s’effectuer par fluorescence X. La réflectographie infrarouge révèle le dessin sous-jacent d’un tableau, tandis que la radiographie aux rayons X témoigne de ses repentirs. L’étude des liants et des vernis, qui implique de prélever un échantillon de l’œuvre peinte (d’une épaisseur de moins d’un millimètre en général), peut également se révéler riche d’enseignements, à condition toutefois de faire attention aux restaurations antérieures qui auraient déverni ou reverni la toile.

Des analyses non infaillibles
Utilisée pour dater des matériaux issus d’organismes vivants, l’analyse au carbone 14 a été mise en œuvre pour déterminer la date d’un site comme celui de la grotte de Chauvet. Concernant la sculpture, la numérisation en 3D permet de savoir s’il s’agit d’un tirage original ou d’un surmoulage. Pour la céramique, la thermoluminescence et la luminescence stimulées mesurent la période écoulée depuis la dernière chauffe de l’objet. C’est grâce à cette technique qu’il a été possible de déceler les nombreux faux Tanagra qui circulaient sur le marché ou dans les musées. Toujours à l’affût, les laboratoires développent de nouveaux procédés tels que la tracéologie. Cette science, issue de l’archéologie, étudie, pour les sculptures notamment, le geste de l’artiste et les traces laissées par les outils lors de la taille. L’altération des pigments au fil du temps est un domaine dont les techniques restent à affiner, tandis que le travail sur les empreintes digitales n’en est qu’à ses balbutiements.
Les analyses scientifiques sont fiables mais non infaillibles. Comme le souligne Anne Bouquillon, ingénieure et chercheuse au C2RMF, « dater une œuvre hors contexte est extrêmement difficile. Une seule analyse n’est jamais déterminante et il est nécessaire de croiser les données. On a vu certaines argiles qui ne répondaient pas à la thermoluminescence, technique de datation pourtant considérée comme sûre. Nous travaillons de plus en plus étroitement avec les conservateurs, les historiens, les restaurateurs ».

Le compte rendu des analyses scientifiques ne doit pas être pris pour argent comptant. Auparavant, les rapports fournis par les laboratoires étaient très précis ; aujourd’hui, ils suggèrent plus qu’ils n’affirment, incitant à toujours plus de prudence. « Les polémiques ont vu le jour à cause du manque de sagesse », explique Philippe Walter, physico-chimiste, directeur de recherche au CNRS et au C2RMF, soulignant lui aussi l’importance de multiplier les points de vue. « Pour un faux sculpté dans un bois millénaire, le résultat d’une analyse au carbone 14 peut laisser penser qu’il s’agit d’un original. De même, les analyses physico-chimiques ne peuvent permettre de distinguer la palette de deux artistes contemporains qui utilisent les mêmes pigments, les mêmes toiles, [pour cette simple raison qu’]ils vont chez les mêmes fournisseurs. »

« Secret partagé »
Certaines œuvres ont une histoire si complexe que la science ne peut en percer tous les secrets. C’est le cas du crâne Xihuitl exposé cet été au Musée des arts africains océaniens et amérindiens de Marseille dans le cadre d’une enquête. Si celle-ci penche pour une œuvre aztèque authentique, on ne peut exclure la possibilité d’un faussaire particulièrement ingénieux. « Les faussaires peuvent se révéler très doués. Ils lisent les mêmes revues scientifiques que nous et réutilisent à leur compte les fruits de la recherche », témoigne Philippe Walter. Certaines études scientifiques réalisées au C2RMF restent ainsi confidentielles. Quant aux examens effectués par le C2RMF pour les musées, il n’est pas obligatoire de les rendre publics. Une œuvre qui ne sera pas acquise, parce qu’elle apparaît douteuse ou fausse, peut ainsi revenir sur le marché. Et à l’heure où les œuvres d’art font l’objet de véritables placements, les questions d’authenticité ne sont pas toujours les bienvenues… Les peines encourues pour la contrefaçon sont très faibles au regard des sommes en jeu. Les affaires de faux portées devant la justice sont cependant nombreuses et le monde judiciaire porte, lui aussi, un nouvel intérêt à ces méthodes scientifiques qui complètent le travail des experts. Le nouveau diplôme créé à la fois par le Centre de formation permanente de l’université Panthéon-Assas (Paris-II) et l’Institut Art & Droit (Lyon) en est un signe tangible (lire l’encadré). En 2008, Dominique Bibal-Sery, juge d’instruction au pôle financier du tribunal de grande instance de Paris, a innové en ayant recours à la modélisation en 2D et en 3D dans le cadre d’enquêtes sur de présumées fausses sculptures. Depuis 2008, elle auditionne les conservateurs de musées pour enrichir les dossiers en cours, dans le souci d’une approche qu’elle souhaite, elle aussi, pluridisciplinaire.

Plutôt sceptiques pour l’instant, les experts ne voient pas toujours d’un très bon œil ces méthodes scientifiques qui empiètent sur leur domaine de compétence. « Les experts artistiques ne doivent pas se sentir concurrencés, ils demeurent indispensables. La complémentarité des différents savoirs va dans le sens de l’histoire. On se dirige peu à peu vers cette notion du secret partagé. Mais il est vrai que c’est toujours problématique quand, d’une opacité, on passe à une transparence. » Les experts, tout comme l’ensemble des acteurs du marché de l’art, ne pourront se passer de la science s’ils veulent déjouer les pièges tendus par les faussaires et éviter les scandales qui éclaboussent parfois leurs professions.

Un diplôme d’expertise

L’université Panthéon-Assas (Paris-II) et l’Institut Art & Droit viennent de créer un diplôme d’université « Droit et techniques de l’expertise des œuvres d’art ». Destinée aux magistrats, avocats, experts privés, conservateurs, commissaires-priseurs, courtiers, douaniers, gendarmes, chercheurs ou doctorants en histoire de l’art, cette formation va débuter en janvier 2012. Parmi les thèmes abordés : l’expertise lors d’une succession, pour des ventes aux enchères, en douane ou devant la juridiction civile ; les principales notions de l’analyse physico-chimique ; les principes des techniques de datation absolue.

Les candidatures sont à déposer jusqu’au 23 décembre, centre de formation permanente de l’université Panthéon-Assas, 4, rue Blaise-Desgoffe, 75006 Paris, tél. 01 53 63 86 26, http://cfp.u-paris2.fr

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°357 du 18 novembre 2011, avec le titre suivant : La science au secours de l’expertise

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