Ventes aux enchères

VENTES PUBLIQUES

La préemption, une procédure devenue très courante

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 17 janvier 2023 - 766 mots

Même si le nombre de préemptions est variable d’une année sur l’autre en fonction de ce qui se présente sur le marché, les musées y ont régulièrement recours.

Michel Colombe (1430-1515), Vierge à l’Enfant, vers 1500-1510, terre cuite, h. 102 cm.  Cette statue a été préemptée par le musée du Louvre en novembre 2022.© Studio Sebert
Michel Colombe (1430-1515), Vierge à l’Enfant, vers 1500-1510, terre cuite, h. 102 cm. Cette statue a été préemptée par le musée du Louvre en novembre 2022.
© Studio Sebert

Depuis la loi du 31 décembre 1921, l’État français dispose d’un droit de préemption qu’il peut exercer sur toute vente publique d’œuvres d’art et par l’effet duquel il se substitue à l’acheteur. Ce droit, conçu pour enrichir les collections publiques, ne doit être exercé qu’à l’égard d’œuvres présentant un intérêt patrimonial, historique ou scientifique majeur (l’article R123-2 du Code du Patrimoine énumère une liste relativement large d’objets susceptibles d’être préemptés). Dans la pratique, l’institution intéressée doit adresser au service des musées de France en amont de la vente, un dossier comprenant notamment une note scientifique présentant l’intérêt patrimonial de l’œuvre. En cas de réponse favorable, l’institution délègue à la vente un représentant habilité, qui y assiste en simple spectateur, sans participer aux enchères. Une fois le mot « adjugé » prononcé, il se manifeste en déclarant en général « préemption pour les Musées de France », tout en précisant le nom du musée bénéficiaire. Ses intentions ne sont donc dévoilées qu’au dernier moment, afin de ne pas freiner les enchères et décourager les acheteurs potentiels, ce qui fausserait le jeu. L’État dispose alors d’un délai de quinze jours pour confirmer l’acte.

2019, année record en préemptions

Entre 2018 et 2021, le nombre de lots préemptés en ventes publiques sur l’ensemble du territoire par les Musées de France est passé de 156 à 344 – soit plus du double – avec une légère baisse en 2020 (187 contre 200 en 2019). Les maisons de ventes suivent le mouvement avec, cependant, des données plus contrastées. Sur les cinq dernières années, le nombre de préemptions n’a cessé de varier d’une année sur l’autre. 2019 fait figure de record avec 235 préemptions à Drouot, 28 chez Christie’s et 20 chez Sotheby’s. 2020 est évidemment une année particulière – le confinement ayant suspendu la tenue des ventes aux enchères – avec 31 préemptions à Drouot et 4 chez Sotheby’s et Christie’s. La reprise s’est opérée en 2021 avec 119 préemptions à Drouot, 8 chez Sotheby’s et 26 chez Christie’s. Quant à l’année 2022, une nouvelle baisse est enregistrée à Drouot (71), soit une cinquantaine de moins qu’en 2021. « C’est en effet très aléatoire d’une année à l’autre. Je ne note pas de tendance. En fait, tout dépend de ce qui arrive sur le marché. Il y a souvent un appel d’air quand de nouveaux départements de musées ouvrent ou se développent », observe David Nordmann, commissaire-priseur chez Ader, qui recense 20 préemptions en 2022. Il ajoute : « L’intérêt des institutions est toujours aussi vif. Elles regardent tout et sont là quand il y a une pièce importante. Sans doute, y aurait-il davantage de préemptions si nos délais à nous, maisons de ventes, n’étaient pas si courts… »

Une « Vierge à l’enfant », dernière préemption du Louvre

Parmi les musées les plus actifs figurent, outre Versailles ou Orsay, le Louvre bien sûr. 2019 a également été une année record pour le musée parisien qui a réalisé 49 préemptions (contre 29 en 2021). Pas plus tard qu’en novembre dernier, il a préempté pour une somme importante (4,7 M€) une Vierge à l’enfant de Michel Colombe, vers 1510 [voir ill.], dans une vente orchestrée par AuctionArt. La Bibliothèque nationale de France use aussi régulièrement de ce droit, pas moins de 36 préemptions en 2022 (contre 12 en 2021). D’ailleurs, nombreuses sont les préemptions dans le domaine des manuscrits et autographes – beaucoup de musées territoriaux et bibliothèques s’intéressent à leur histoire à travers ce type de documents. Souvent peu dotés financièrement, ces musées ont recours à cette procédure qui constitue pour eux la seule chance de pouvoir acquérir des pièces.

Longtemps perçue comme un élément perturbateur, cette procédure est aujourd’hui davantage acceptée. « Pour autant, même si c’est un outil formidable, cela peut être très mal vécu par les acheteurs. Parfois même, le délégué du musée se fait copieusement huer par la salle. Dans des cas plus rares, l’acheteur est plutôt flatté d’avoir été dépossédé au profit d’un musée », raconte un acteur du marché.

Globalement, les maisons de ventes perçoivent la préemption comme une action valorisante mais qui doit être utilisée raisonnablement et quand l’enjeu est grand, comme, par exemple, en présence d’une pièce unique ou lorsqu’une œuvre vient compléter une série. « Quand l’œuvre est très importante, je suis fier de la voir intégrer une institution afin que le public en profite. En revanche, je suis contre l’usage systématique de ce droit pour les pièces mineures. C’est une entrave au marché », estime David Nordmann.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°602 du 6 janvier 2023, avec le titre suivant : La préemption, une procédure devenue très courante

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