Galerie

ART CONTEMPORAIN

Kenny Scharf, vibrations cosmiques

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 15 février 2021 - 738 mots

PARIS

L’artiste issu de la culture pop et du « street art » présente ses récents travaux dans le nouvel espace de la Galerie Almine Rech, avenue Matignon.

Paris. Cela ressemble à un retour dans un quartier qu’il connaît bien puisque Kenny Scharf a exposé à la galerie 75 Faubourg (8e) en 2018, en partenariat avec la galerie Enrico Navarra, avec laquelle il avait, dès la fin des années 1990, plusieurs fois projeté de montrer son travail lorsque celle-ci était installée au 16, avenue Matignon. Aujourd’hui, c’est deux numéros à côté, au 18 de la même avenue, qu’il présente un ensemble d’une dizaine de toiles réunies sous le titre « Vaxi Nation », réalisées pendant le confinement de décembre dernier. Ce faisant, il inaugure le nouvel espace (et le second à Paris) d’Almine Rech, après ceux de la rue de Turenne (Paris), New York, Bruxelles, Shanghaï et Londres.

La première chose qui frappe avec ce travail, c’est à quel point Kenny Scharf (né en 1958 en Californie, il vit aujourd’hui à Los Angeles) n’a pas vieilli et n’a rien perdu de la fraîcheur et de la spontanéité qui le caractérisaient au début des années 1980 lorsqu’il est apparu sur la scène new-yorkaise aux côtés de Jean-Michel Basquiat et Keith Haring, avec lesquels il partageait alors un loft près de Times Square.

À Paris, on avait pu le découvrir lors de l’exposition « 5/5 Figuration libre France/USA » qui s’était tenue de décembre 1984 à février 1985 à l’ARC, au Musée d’art moderne de la ville de Paris (peu de temps, donc, après ses premières expositions en galerie à New York, à la Fun Gallery, en 1982 et Tony Shafrazi en 1983). À l’initiative de Suzanne Pagé, qui en avait confié le commissariat aux critiques d’art Otto Hahn et Hervé Perdriolle, la manifestation mettait en avant ce mouvement artistique, né au tout début des années 1980, en confrontant cinq artistes français, Robert Combas, Hervé et Richard Di Rosa, François Boisrond, Rémi Blanchard et Louis Jammes, et cinq américains, Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Crash, Tseng Kwong Chi et Kenny Scharf.

Du graffiti aux toiles saturées

Kenny Scharf, alors souvent qualifié de « pop-surréaliste » avait déjà mis en place son langage plastique constitué par un télescopage et une saturation de signes (la spirale…), de formes (le mandala…), de personnages et de créatures bizarres, dans des couleurs vives, voire acidulées. Autant d’éléments puisés et détournés de la nature (il est très concerné par l’écologie), du monde des objets (ambiance lampes à lave), des rituels quotidiens et surtout de la très revendiquée culture des mass médias, images télé, cartoons, références à la bande-dessinée, aux dessins animés (Les Pierrafeu, Les Jetson), aux vidéos variées, que l’on retrouve dans les deux types de tableaux ici réunis foisonnant et grouillant de partout.

Les premiers, réalisés à la bombe, relèvent plus de l’esthétique du graffiti. Les seconds peint à l’huile et à l’acrylique (et également ponctuellement au spray) sont nettement plus proches de la peinture. Ces deux directions complémentaires rappellent le côté fun et psychédélique qui a toujours caractérisé le travail de Scharf, mais cette fois avec encore plus de précision, de souci du détail et de maîtrise que par le passé. Car s’il est resté fidèle à ses chevaux de bataille, celui qui l’année dernière a collaboré avec Kim Jones pour la collection homme de Dior, a indéniablement peaufiné et affiné son monde. Un monde allumé, joyeux, halluciné où les figures, avec leurs têtes à deux – voire trois – yeux exorbités (comme dans Rouge E), circulent aussi bien dans un espace intersidéral que dans un plasma sanguin – ce qui de l’infiniment grand à l’infiniment petit revient au même – et où le cadre aquatique, qui n’est pas sans rappeler la série de tableaux liés à l’univers sous-marin d’Hervé Di Rosa, met chaque scène en suspension dans une ambiance très planante.

De façon plus terre à terre, les prix, qui vont de 121 000 à 176 000 dollars [100 000 à 145 000 €] pour le plus grand tableau (1,77 x 2,28 m), sont très abordables (le lendemain de l’ouverture tout était d’ailleurs presque vendu) pour un artiste américain de sa génération, qui plus est historiquement lié à la scène new-yorkaise des années 1980. Ils sont certes très éloignés de ceux de Keith Haring et surtout de Jean-Michel Basquiat, même si l’écriture de Scharf est sans doute moins forte. Mais ces deux derniers sont morts. Et leur disparition prématurée a favorisé le mythe.

Kenny Scharf, Vaxi Nation,
jusqu’au 6 mars, Galerie Almine Rech, 18, avenue Matignon, 75008 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°560 du 5 février 2021, avec le titre suivant : Kenny Scharf, vibrations cosmiques

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