Justice

Jeff Koons et la Galerie Gagosian accusés de violations contractuelles

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 14 mai 2018 - 744 mots

NEW YORK / ETATS-UNIS

Une récente assignation dénonce le système mis en place par l’artiste américain et ses puissantes galeries à l’encontre de certains collectionneurs contraints, à l’image du requérant, de verser de très importants acomptes sans l’assurance de recevoir un jour leurs œuvres.

New York. S’aventurer dans l’univers de Jeff Koons, c’est, semble-t-il, faire le pari du concept. Qu’il s’agisse d’acquérir une ou plusieurs œuvres de l’artiste le plus coté du marché de l’art contemporain ou d’en recevoir une en cadeau, seule l’idée de l’œuvre semble être garantie. Encore faut-il accepter quelques contraintes financières fort accessoires pour s’assurer d’une telle garantie. À l’acheteur soucieux d’appartenir à l’élite des collectionneurs, des acomptes particulièrement élevés seront exigés. Au récipiendaire, il sera demandé de bien vouloir à son tour faire preuve de générosité en assumant à ses frais, même de manière indirecte, les coûts de production.

Certains collectionneurs, pourtant heureux propriétaires d’une édition réservée à leur profit, souhaiteraient imposer en prime à l’artiste des contraintes temporelles de fabrication que son studio [« atelier »] semble incapable d’honorer depuis quelques années. C’est ici oser faire abstraction de la toute-puissance de Jeff Koons sur le marché. Dès lors, quand un impétueux acquéreur contrarié tente de faire valoir ses droits devant la justice, la tournure de son assignation peut prendre des atours inattendus. Celle qui vient d’être délivrée le 19 avril devant la Cour suprême de New York au nom de Steven Tananbaum, acquéreur de trois œuvres de l’artiste, s’en fait l’écho de manière particulièrement pittoresque.

Voici une machination dénoncée, sur fond de Shakespeare dans le texte, de collusions en tout genre et de pyramide de Ponzi, entraînant Jeff Koons, son studio, son galeriste Larry Gagosian et ses employés dans un tourbillon d’accusations. Les dix-sept arguments convergent tous vers une même idée : malgré les près de 13 millions de dollars versés en acompte au galeriste de l’artiste durant les cinq dernières années, les protagonistes de cette tragédie auraient toujours su que les dates de livraison des œuvres ne seraient jamais respectées. Et celles-ci ont été sans cesse reportées, jusqu’en 2019 désormais, déclenchant alors l’ire du collectionneur. Bien qu’il ne s’agisse nullement d’œuvres de commande – Balloon Venus (Magenta) et Eros et Diana ayant déjà été réalisées dans d’autres éditions – le studio de l’artiste peine à en assurer la fabrication, arguant de difficultés attachées à des problèmes techniques.

Obligation d’indiquer le nom du sous-traitant

Ce que Steven Tananbaum dénonce aujourd’hui, d’autres l’ont fait avant lui. Ainsi, le marchand d’art ancien Fabrizio Moretti a attaqué en 2013 le studio de Koons et l’une de ses autres galeries, la galerie David Zwirner (New York, Londres, Hongkong), en raison notamment du délai de livraison non respecté de la sculpture Gazing Ball (Centaur and Lapith Maiden), acquise pour 2 millions de dollars. Déjà, l’acquéreur mobilisait la « New York Arts and Cultural Affairs Law » (NYACAL) au soutien de ses prétentions. L’article 15 de ladite loi prévoit, en substance, que les vendeurs d’œuvres multiples doivent fournir aux acquéreurs l’ensemble des renseignements essentiels concernant l’édition achetée. Ces informations portent tant sur le nom de l’artiste que sur les dimensions de l’œuvre, le lieu de fonte ou de fabrication et le nombre d’éditions arrêtées. Parmi les violations relevées aujourd’hui par Steven Tananbaum à l’encontre des défendeurs, figure l’absence de divulgation du nom de l’entreprise chargée de réaliser les trois œuvres.

Secret bien souvent jalousement conservé par les artistes superstars, l’identité des délégataires de l’exécution doit pourtant être communiquée. L’affaire portée par Moretti, qui a connu une étape décisive à la fin de l’année 2016, et celle récemment introduite par Tananbaum constituent des premières outre-Atlantique dans la volonté recherchée d’une application stricte de la loi new-yorkaise. Or, le fait pour un professionnel de l’art d’omettre volontairement de divulguer l’une des informations visées à l’article 15 de la New York Arts and Cultural Affairs Law, ou de divulguer sciemment de fausses informations, peut emporter pour l’acquéreur une indemnisation équivalente à trois fois le prix payé. Si cet argument venait à prospérer devant les juridictions américaines, l’épée de Damoclès pesant sur les galeries imposerait alors une transparence renforcée sur les modalités de fabrication des œuvres.

Au-delà, l’assignation dénote avec une certaine justesse la fuite en avant imposée par le statut de l’artiste américain, contraint de favoriser des expositions publiques pour assurer son emprise continue sur le monde de l’art plutôt que d’honorer les commandes passées. La surexposition a un prix et celui-ci pourrait être bien élevé si la justice américaine donnait raison aux deux collectionneurs.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°501 du 11 mai 2018, avec le titre suivant : Jeff Koons et la Galerie Gagosian accusés de violations contractuelles

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