Galerie

ART CONTEMPORAIN

Garouste, un classique contemporain

Par Stéphane Renault · Le Journal des Arts

Le 11 avril 2018 - 877 mots

PARIS

La galerie Templon présente une série de tableaux récents de Gérard Garouste inspirés du Talmud. Il est exposé également dans deux institutions parisiennes.

Paris. Il y a quelques semaines, l’artiste a été reçu en tête-à-tête par le président de la République sous les ors de l’Élysée. Élu en décembre dernier à l’Académie des beaux-arts au siège du peintre Georges Mathieu, Gérard Garouste serait-il en passe de devenir le nouveau peintre officiel ? « Avec une telle présence physique et un discours sur la culture, il n’y en a pas d’autre aujourd’hui », répond avec aplomb Daniel Templon, son galeriste depuis vingt ans, qui l’expose actuellement. L’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris et le Musée de la chasse et de la nature lui consacrent dans le même temps deux autres accrochages.

Forte actualité parisienne donc pour le peintre figuratif français âgé de 72 ans. L’heure enfin venue de la consécration, alors que la peinture semble prendre sa revanche après des années de prééminence de l’art conceptuel ? Pour Daniel Templon, le doute n’est pas permis : « Ce n’est pas un hasard si mes records de fréquentation depuis vingt ans, c’est Gérard Garouste. Peut-être le grand public a-t-il raison contre les intellectuels, qui en France ne sont pas tous en sa faveur. Aujourd’hui encore, l’exposer pose un problème à certains conservateurs. » Et d’ajouter : « La peinture de Garouste s’inscrit dans une lignée historique, et dans la tradition de la peinture figurative du XXe siècle à la suite de Balthus, Bacon, Freud, Hockney, Baselitz, Kiefer… Ce qui est intéressant dans la peinture, c’est l’au-delà de l’image. La peinture est faite pour raconter des histoires. Lacan disait que la peinture, c’est du langage à la puissance 2. La contemplation d’un tableau nous renvoie à l’histoire tout court, celle de la peinture, de l’homme. Chaque peintre met dans ses tableaux son histoire personnelle. » Garouste, lui, puise depuis toujours son inspiration dans la mythologie, les grands textes sacrés, la littérature de Dante à Goethe en passant par Rabelais, Cervantès. « Tous ces grands thèmes, abordés avec la virtuosité, la technique qu’on lui connaît, font penser qu’on peut le mettre dans la catégorie des grands peintres de sa génération. Un grand peintre passe de l’individuel à l’universel. »

Culture hébraïque

Cet universel, Garouste le tire ici de son étude du Talmud. Converti au judaïsme – dans un livre poignant, L’Intranquille (éditions de l’Iconoclaste), il confiait en 2009 sa lutte tourmentée contre la maladie maniaco-dépressive mais aussi ses conflits avec un père antisémite –, le peintre passionné par la Kabbale fait vivre ces histoires sur ses toiles, à travers une palette vibrante et une liberté du geste plus grande que jamais. Dans certaines, l’influence du Greco se fait sentir – de son propre aveu son peintre favori, avec le Tintoret, Vélasquez, Zurbarán, Manet, De Chirico… Sous le titre « Zeugma » (« le lien », en grec), on croise ainsi dans l’exposition, aux côtés d’autoportraits, l’histoire de ces oies grasses rencontrée dans les Aggadot de Rabba Bar Bar Hanna. Les volatiles qui perdent leurs plumes dans le désert s’en plaignent à trois maîtres du Talmud, dont les visages arborent les traits de Borges et Kafka entourant le philosophe Chouchani, figure majeure de la vie intellectuelle juive du XXe siècle, qui éveilla notamment le profond intérêt d’Emmanuel Levinas pour l’étude talmudique. Dans un esprit très « zeugmatique », Garouste mêle à ses images d’autres sources d’inspiration, qui confèrent parfois une forme fantaisiste voire délirante à ces pures productions de l’esprit où le jeu sémantique tient une place majeure.

Une cote relativement faible

Les prix vont de 40 000 à 200 000 euros pour les plus grands tableaux. À l’international, son nom est connu mais sa cote reste relativement faible en comparaison d’autres grands contemporains de la peinture. « C’est la malédiction de la peinture française, déplore Daniel Templon. Nos institutions n’ont pas su faire rayonner nos artistes. Sur le marché, leur cote est très en deçà de celle des artistes étrangers. Or si c’est moins cher, dans l’esprit de beaucoup, c’est forcément moins bien. Les gens achètent avec leurs oreilles et non leurs yeux. » S’il a été montré dans nombre d’institutions, parmi lesquelles la Fondation Maeght en 2015, Garouste n’a par exemple pas bénéficié d’exposition à New York depuis l’époque de Leo Castelli, qui l’avait repéré et exposé dès 1983. Né à Trieste, juif d’origine hongroise, le marchand légendaire voulait s’installer à Paris avant de devoir s’exiler en 1940 à New York. Il a néanmoins toujours gardé un attachement à la France, et un goût pour les premiers tableaux néoclassiques de Garouste accompagné d’affinités intellectuelles avec le peintre. Le galeriste, dont Daniel Templon était proche, avait du flair.

La riche triple actualité parisienne de ce classique contemporain pourrait faire évoluer les regards sur son œuvre dense et singulière, pour ne pas dire à contre-courant. Et contribuer à la réévaluer, sur le plan critique comme commercial. En attendant la grande rétrospective au Centre Pompidou, dont le principe semble désormais acquis. Mais la date, encore incertaine.

Zeugma, jusqu’au 12 mai, galerie Templon, 30, rue Beaubourg, 75003 Paris.
Zeugma, Diane et Actéon, jusqu’au 1er juillet, Musée de la chasse et de la nature, 62, rue des Archives 75003 Paris.
Zeugma, le grand œuvre drolatique, jusqu’au 15 avril, Beaux-Arts de Paris, Palais des études, 14, rue Bonaparte, 75006 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°499 du 13 avril 2018, avec le titre suivant : Garouste, un classique contemporain

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